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Physiologie, Physiopathologie

Publié le 04 oct 2018Lecture 11 min

Impact de l’environnement sur le développement cérébral

Yves CHAIX, CHU de Toulouse

Le développement cérébral est le résultat d’une interaction complexe entre un ensemble de gènes et des facteurs environnementaux toujours plus nombreux. L’étude du développement cérébral consiste donc à l’étude des interactions entre le processus de maturation cérébrale, nature dépendant et le processus de plasticité cérébrale, culture dépendant.

La sensibilité aux stimuli environnementaux est accentuée pendant les périodes de développement rapide du cerveau. Les périodes sensibles sont celles au cours desquelles la plasticité (changements induits dans le cerveau par les stimuli environnementaux) est la plus grande en sachant que les différents systèmes neuronaux peuvent avoir des périodes sensibles différentes. Quelques notions clés Le développement cérébral est un processus complexe Il ne s’agit pas d’un simple processus de croissance linéaire, mais d’une combinaison de phénomènes additifs, soustractifs et de réorganisation tout au long du développement de l’enfant, c’est-à-dire de la période intra-utérine, où commence le développement, jusqu’à l’âge adulte. La notion de redondance neuronale et synaptique offre à l’enfant un potentiel extraordinaire de plasticité cérébrale, notamment dans la phase précoce du développement que les pédiatres surveillent par la mesure régulière du périmètre crânien. Le développement cérébral est un processus adaptatif Les changements cérébraux observés et induits par l’environnement, ou plasticité cérébrale, peuvent être de deux types : – ceux attendus pour que le développement se poursuive normalement comme l’exposition aux stimuli visuels pour observer un développement normal du cortex visuel (mis en évidence par des expériences de privations visuelles chez l’animal) ; – et ceux dépendant d’expériences ou d’apprentissages propres à chaque individu, comme l’apprentissage d’un instrument de musique ou d’une activité professionnelle spécifique (mis en évidence, par exemple, en étudiant l’organisation cérébrale en lien avec la profession de chauffeur de taxi dans l’étude de Maguire et coll.(1)). Le développement cérébral est un processus contraint On peut individualiser trois types de contraintes : génétique, environnementale et temporelle. Les gènes permettent l’élaboration de protéines essentielles pour plusieurs étapes du développement cérébral. Ainsi, c’est la combinaison de multiples signaux moléculaires présents en concentrations variables dans différentes zones qui induit la différenciation de régions fonctionnellement distinctes dans le néocortex en développement. L’organisation du cortex sensorimoteur et du cortex visuel sont sous la dépendance des gènes Pax6 et Emx2. Le premier a un gradient antéro-postérieur (plus forte con centration à la partie antérieure de la plaque neurale) et le second un gradient postéro-antérieur (plus forte concentration à la partie postérieure de la plaque neurale). La combinaison d’une concentration élevée du produit moléculaire de Pax6 et d’une concentration faible du produit moléculaire de Emx2 donne naissance aux aires motrices et inversement, la combinaison d’une concentration faible du produit moléculaire de Pax6 et d’une concentration élevée du produit moléculaire de Emx2 donne naissance aux aires visuelles. Quand la concentration d’une protéine est expérimentalement augmentée ou diminuée, comme chez le rat muté pour Emx2, les cartes corticales se modifient avec régression des aires visuelles et expansion des aires motrices. Le développement normal nécessite des stimulations environnementales pour moduler et façonner l’organisation fonctionnelle émergente des systèmes neuronaux. Le développement cérébral des enfants en situation de négligences lourdes illustre notre propos. Les pédiatres connaissent bien la situation de nanisme psychosocial caractérisée par un défaut de croissance staturo-pondéral en lien avec des carences sévères ; cette situation peut s’accompagner également d’un ralentissement ou arrêt du développement cérébral. Elle est réversible en cas de placement dans un milieu stimulant. Le Bucharest Early Intervention Project (BEIP) est une étude de suivi longitudinal d’enfants placés en institution puis orientés en famille d’accueil avec un groupe contrôle d’enfants élevés par leurs parents biologiques. Les enfants ont été suivis jusqu’à l’âge de 12 ans, avec pour objectif principal l’évaluation des effets sur le développement cérébral. Les résultats en EEG montraient des patterns d’organisation différents entre les enfants contrôles et ceux placés en famille d’accueil précocement (avant 24 mois) et les enfants restés en institution ou placés tardivement en famille d’accueil (après 24 mois) : dans ces deux derniers groupes, on note une fréquence plus élevée de rythme de basse fréquence (Théta) comparativement aux premiers groupes chez lesquels prédominaient les rythmes de fréquences plus élevées (alpha et béta). Ce pattern EEG atypique est relié au développement dans un deuxième temps de comportements, de type hyper actif/impulsif. Les études en IRM ont montré une réduction du volume de substance blanche dans le groupe maintenu en institution comparativement au groupe accueilli en famille d’accueil ou à celui élevé par les parents biologiques ainsi qu’une connectivité atypique entre le cortex préfrontal et l’amygdale (maturation accélérée) et une réactivité plus importante des régions de l’amygdale chez les sujets carencés par rapport aux sujets contrôles. Ces éléments donnent un support cérébral aux difficultés de régulation émotionnelles fréquemment observées dans ces populations(2). Les réorganisations successives qui caractérisent le développement cérébral ne peuvent survenir que dans des fenêtres temporelles plus ou moins larges : phénomène particulièrement bien illustré par l’exemple du développement des capacités de discrimination des phonèmes d’une langue étrangère chez l’enfant(3). Impact de l’environnement sur le développement cérébral Pauvreté et développement cérébral Environ 1 enfant sur 5, que ce soit aux États-Unis ou en France, vit au seuil ou en-dessous du seuil de pauvreté. Les enfants dans cette situation présentent plus de retard de développement, de difficultés académiques, de troubles socio-émotionnels ou de troubles du comportement comparativement à des enfants grandissant dans un environnement socioéconomique favorable. Depuis une dizaine d’années, les neurosciences s’intéressent aux effets de la pauvreté sur le développement cérébral ou comment ces conditions « façonnent » le cerveau de ces enfants. La mesure de la pauvreté pour les études scientifiques repose essentiellement sur le niveau socio-économique des familles ou NSE, indicateur complexe qui peut prendre en compte différentes variables : niveau de revenu des familles, niveau d’études des parents, activité professionnelle ou versement d’aides par l’état, etc. Comme nous l’avons déjà vu, le développement cérébral dépend de facteurs génétiques, environnementaux et de leur interaction. Le niveau socioéconomique peut moduler le poids de ces deux facteurs (génétique, environnement) au niveau cognitif ou cérébral : ainsi, dans les milieux de NSE élevé, les gènes sont un facteur explicatif plus important de la variance du niveau cognitif que dans les milieux avec NSE faible. Certaines recherches suggèrent que les facteurs génétiques peuvent aussi moduler l’effet de la pauvreté : certains gènes confèrent une résilience ou au contraire une susceptibilité à tel ou tel facteur environnemental favorable ou défavorable. L’étude longitudinale en IRM de Hanson et coll.(4), réalisée chez 77 enfants dans des familles de NSE variables, les enfants étant scannés plusieurs fois entre 5 mois et 4 ans, montre une vitesse de croissance cérébrale et un volume de substance grise moindres dans le groupe des enfants élevés dans des familles de faible NSE. L’équipe de Martha Farah en Pennsylvanie(5,6) a été une des premières à étudier l’impact du NSE sur les fonctions cognitives et l’architecture cérébrale. Ces auteurs montrent que les différents systèmes neurocognitifs ne sont pas affectés uniformément par le NSE avec un large effet mis en évidence au niveau du langage et plus modéré sur les fonctions exécutives (mémoire de travail et contrôle inhibiteur). Certaines études rapportent un effet possible sur la mémoire déclarative et les aptitudes spatiales. L’équipe de Patricia Kuhl(7) a montré un niveau d’asymétrie moindre au niveau du gyrus frontal inférieur (en général élevé en faveur de l’hémisphère gauche) dans les milieux où le NSE est faible. Sheridan et McLaughlin(8) postulent que la pauvreté influence le neurodéveloppement en privant le cerveau de stimuli clés et en augmentant son exposition à des facteurs environnementaux négatifs : réduction des stimulations cognitives ou des apports nutritionnels pour les premiers et augmentation de l’exposition au stress ou à des agents toxiques pour les seconds. Stress et développement cérébral Les enfants élevés dans des familles où le NSE est faible sont plus susceptibles d’être exposés au stress. L’exposition au stress en période prénatale ou postnatale précoce peut déréguler la réponse de l’axe hypothalamo-hypophysaire et surrénalien (HHS) avec, notamment, une sécrétion excessive de glucocorticoïdes. L’activation chronique de l’axe HHS a des conséquences au niveau cérébral, plus particulièrement dans les régions hippocampiques et les régions de la régulation émotionnelle dont le cortex préfrontal et la région amygdalienne. Au niveau histologique, sont rapportées une réduction de la neurogenèse et de la plasticité synaptique. Hanson et coll.(9) ont étudié le volume de deux régions clés impliquées dans la gestion du stress (hippocampes et amygdales) dans 3 groupes d’enfants exposés à un stress précoce (enfants victimes de négligence, de maltraitance ou élevés dans des familles de faible NSE) comparés à un groupe d’enfants contrôles. Le volume de ces deux régions était significativement plus faible pour les enfants des 3 groupes exposés aux conditions environnementales plus défavorables avec des corrélations négatives entre volume cérébral (plus le volume est faible) et les troubles du comportement (plus les troubles du comportement sont importants). Substances toxiques et développement cérébral L’exposition prénatale à des substances toxiques est fréquente et constitue un problème majeur de santé publique : aux États-Unis, par exemple, la consommation de substances illicites comme la cocaïne pendant la grossesse est de 5,9 %, de 8,5 % pour l’alcool et de 16 % pour le tabac. Les polyconsommations sont courantes. Les effets du tabac et de l’alcool sur le développement cérébral sont bien établis dans la littérature, avec notamment une réduction du volume cérébral. Gautman et coll.(10) montrent qu’une co-exposition prénatale à la cocaïne, à l’alcool et au tabac a des effets sur le développement cérébral étudié à l’adolescence (14-16 ans). S’il n’est pas décrit d’effet principal de l’exposition à la cocaïne en prénatal, sur l’épaisseur corticale à l’adolescence, il existe une interaction entre exposition à la cocaïne et au tabac ou entre alcool et tabac sur l’épaisseur corticale dans les régions pariétales et temporales. Cette étude insiste sur la prise en compte des effets des poly-intoxications sur le développement cérébral. Nutrition et développement cérébral Une alimentation normale est nécessaire au développement cérébral et en particulier pendant la grossesse et les premières années de vie, période où le développement cérébral est le plus rapide. Les données concernant l’impact des déficiences nutritionnelles proviennent avant tout des études chez l’animal, et plus rarement chez l’homme. Dès le début du développement cérébral avec la formation du tube neural, la nutrition joue un rôle crucial avec le caractère indispensable de certains nutriments comme l’acide folique, le cuivre ou la vitamine A. Le phénomène est complexe, car selon les étapes du développement cérébral les nutriments indispensables ne sont pas les mêmes(11) (tableau 1). Par ailleurs, les conséquences d’une carence nutritionnelle vont dépendre du moment de survenue de la carence, mais également de son importance et de l’interaction avec d’autres facteurs environnementaux. On peut schématiquement décrire trois types d’effets : additifs, interactifs ou modulateurs. Dans le premier cas (effets additifs), les effets de facteurs indépendants, faible nutrition et environnement peu stimulant, se combinent de telle manière que le niveau cognitif est inférieur à celui des enfants exposés à un seul facteur défavorable, qui ont eux-mêmes un niveau cognitif inférieur au groupe exposé à aucun de ces facteurs. Dans l’effet interactif, le rôle défavorable de la mauvaise nutrition ne se retrouve que chez les enfants exposés à peu de stimulation environnementale. Le groupe exposé à un environnement stimulant est protégé contre les effets d’une dénutrition. L’effet modulateur s’exprime de manière plus indirecte : les enfants exposés à une carence nutritionnelle pourraient présenter un développement moteur insuffisant à l’origine d’une réduction des capacités d’exposition aux stimulations environnantes ou encore faire l’objet de moins d’interactions de la part des parents du fait d’un développement moins optimal. L’allaitement maternel constituerait un effet protecteur en apportant les nutriments nécessaires au développement de l’enfant, en renforçant les interactions parents-enfants, en diminuant, secondaire à la réaction hormonale lors de l’allaitement, le niveau de stress maternel(12). Perturbateurs endocriniens et développement cérébral Les perturbateurs endocriniens sont les nombreux produits chimiques externes ou mélanges de produits chimiques qui interfèrent avec tout aspect de l’action hormonale. Les études ces dernières années se sont focalisées notamment sur l’effet d’une exposition prénatale ou postnatale précoce sur le développement des enfants(13). Les différentes étapes du développement cérébral sont hormono-sensibles avec un rôle en particulier des hormones thyroïdiennes dont l’homéostasie peut être affectée par les polluants environnementaux. La liste des produits chimiques affectant au moins un niveau de signalisation des hormones thyroïdiennes est longue, mais certains produits ont fait l’objet de nombreux travaux. Parmi ceux-ci on peut citer, les polychlorobiphényles (PCB) utilisés dans les équipements électroniques et les polybromodiphényléthers (PBDE) qui appartiennent au groupe des retardateurs de flamme utilisés, entre autres, dans l’électronique et le mobilier. Ces deux produits sont très persistants dans l’environnement malgré des interdictions de production, notamment aux États-Unis et en Europe. On peut également citer le bisphénol A (BPA) qui entre dans la composition des plastiques présent par exemple dans les CD et DVD, mais aussi dans les emballages alimentaires. Connu pour être un perturbateur estrogénique, il est également un perturbateur thyroïdien. L’interdiction de production de biberons contenant du BPA est récente, à partir des années 2010. Dans une revue récente, Pinson et coll.(14) rapportent les différentes études montrant les effets d’une exposition précoce à un de ces trois produits sur le développement avec un retentissement cognitif et comportemental significatifs (tableau 2). Un lien est fait entre l’exposition à de tels produits chimiques et l’augmentation de l’incidence des troubles du neuro-développement comme le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou les troubles du spectre autistique(15). Parmi les mécanismes possibles à l’origine des troubles du neuro-développement, l’épigénétique, c’est-à-dire la modification de l’expression des gènes par les facteurs environnementaux, est devenue ces dernières années une piste explicative de plus en plus convaincante(16). En pratique, on retiendra Le cerveau est « sculpté » par les facteurs environnementaux tout au long de la vie. L’influence de ces facteurs est plus importante dans les périodes sensibles où la plasticité est maximale. Certains facteurs agissent de manière défavorable sur le développement cérébral : la pauvreté, la maltraitance au travers des négligences ou des abus, la malnutrition, l’exposition à des substances toxiques ou aux perturbateurs endocriniens. Ils sont l’objet d’étude des neurosciences. "Publié dans Pédiatrie Pratique"

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