publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Cas cliniques

Publié le 04 fév 2010Lecture 9 min

Une longue histoire de « conflit »…

M. VLAICU BUSTUCHINA*, M. RODALLEC** *Service de Neurologie et Neurovasculaire, Hôpital Saint-Joseph, Paris **Service de Radiologie, Centre Cardiologique du Nord, Saint-Denis
Cette patiente, âgée de 75 ans, consulte pour des contractions involontaires, brèves, rapides et unilatérales de la face touchant front, sourcils, paupières et commissure labiale.
Ces contractions tonico-cloniques débutent au niveau de l’orbiculaire de l’oeil, provoquant un clignement gênant de la paupière, puis s’étendent progressivement aux muscles faciaux inférieurs (muscle zygomatique, orbiculaire des lèvres, muscle de la houppe du menton et peauciers du cou). La fréquence en est variable, accentuée par l'état de fatigue ou par le stress. Les mouvements involontaires persistent pendant le sommeil. Cette patiente n’a pas d’antécédents notables, sauf une HTA traitée et bien équilibrée. Il n’y a pas de paralysie faciale. Le reste de l’examen neurologique est normal. Quel est votre diagnostic ? Il s'agit d’un hémispasme facial (contractions rapides et irrégulières des muscles innervés par le nerf facial). Commentaires Diagnostic clinique Le diagnostic clinique repose sur l’interrogatoire et un examen neurologique soigneux pour différencier l’hémispasme facial des autres mouvements anormaux de la face comme le blépharospasme, les tics faciaux, les myokimies, les crises partielles épileptiques (clonies faciales) ou le spasme facial post-paralytique, secondaire à une paralysie faciale périphérique. D’autres signes neurologiques associés sont à rechercher pour distinguer un spasme de l’hémiface secondaire d’un spasme primitif. On décrit en effet le spasme idiopathique, le spasme secondaire et l’hémispasme facial post-paralytique. Étiologies La prévalence des spasmes hémifaciaux est de 30/1 million. Cette affection chronique débute entre 50 et 70 ans, plus fréquente chez la femme que chez l’homme et peut relever de diverses étiologies. La forme la plus commune est idiopathique. Cependant, le spasme de l’hémiface peut, comme on l’a dit, être secondaire à une paralysie faciale périphérique. Exceptionnellement, un hémispasme facial peut aussi être en rapport avec des étiologies provoquant des paralysies faciales progressives, par exemple, une lésion de la fosse postérieure (tumeurs, kyste épidermoïde, malformation artério-veineuse de l'angle ponto-cérébelleux, processus infectieux ou autre) (1). Dans la quasi-totalité des cas, un conflit neurovasculaire est en cause et les explorations IRM en apportent la preuve. Il est lié à une compression vasculaire par une boucle artérielle aberrante au niveau de l'angle ponto-cérébelleux. Figure. Séquence 3D volumique fortement pondérée en T2 reconstruite dans le plan coronal et axial oblique. Il existe une boucle de l’artère cérébelleuse postéro-inférieure (PICA) et antéro-inférieure (AICA) croisant le nerf facial droit dans son trajet cisternal. Dans le cas de notre patiente, l’IRM et l’angio-IRM cérébrale ont en effet mis en évidence l’existence d’un conflit neurovasculaire (figure). Diagnostic neuroradiologique Même si tous les éléments sont en faveur d’un spasme hémifacial primitif, il faut systématiquement réaliser une IRM cérébrale. Autrefois, le diagnostic de conflit neurovasculaire n’était fondé que sur des constatations opératoires. Actuellement, il est documenté de manière fiable par les explorations neuroradiologiques modernes. Le diagnostic de conflit neurovasculaire dans l’exploration IRM d'un hémispasme facial nécessite une séquence 3D T2 volumique (séquence très fortement pondérée T2), qui permet d’étudier les rapports du paquet acousticofacial dans son trajet cisternal. On visualise le nerf facial dans son trajet cisternal avec étude de la zone d'émergence et recherche de conflits secondaires situés plus à distance de la REZ (root entry zone).Une séquence vasculaire 3D TOF en temps de vol est utile pour étudier les artères de la fosse postérieure (2). Un conflit neurovasculaire est présent chez 88 % des patients. Toutefois, il peut exister également du côté asymptomatique. L'artère responsable du conflit neurovasculaire est le plus souvent une des branches de division de l'artère vertébrale ou de l'artère basilaire. Le site du contact neurovasculaire et l’indentation du nerf facial à ce niveau sont des paramètres importants pour la survenue du spasme hémifacial. Dans au moins 80 % des cas symptomatiques, le contact neurovasculaire se fait au niveau de la face antérieure de la REZ. C’est l'artère cérébelleuse antérieuro-inférieure qui est le plus fréquemment impliquée dans le conflit (3). Anatomie L’hémispasme facial est donc généralement provoqué par une compression vasculaire pulsatile au niveau de la zone de sortie de la racine du nerf facial. Cette zone de 2-3 mm, considérée comme synonyme de l'Obersteiner-Redlich zone, est une zone de transition (TZ), marquant la limite entre la myélinisation centrale et la myélinisation périphérique, qui se situe à l’endroit où le nerf facial se détache de la protubérance. La root entry zone est pour chaque nerf crânien à une distance variable sur le trajet du nerf par rapport à son émergence du tronc cérébral, et présente pour un même nerf crânien des variabilités interindividuelles plus ou moins importantes. Le siège de la REZ pour le nerf facial est relativement constant et intéresse les 3 premiers millimètres du nerf dans son trajet cisternal. La majorité des compressions vasculaires mettent en cause l'artère cérébelleuse antéro-inférieure, suivie de l'artère cérébelleuse postéro-inférieure et l'artère vertébrale ou différentes combinaisons d'anomalies sur le trajet de ces vaisseaux. Les conflits d'origine veineuse sont beaucoup plus rares. Plusieurs théories ont été proposées pour essayer d’expliquer les mécanismes possibles des conflits vasculo-nerveux : - l’excitation ectopique et la transmission éphaptique (synapse électrique sans neuromédiateur chimique) ; - l’origine centrale : théorie nucléaire ; - la théorie unificatrice : effet kindling. On considère que la compression vasculaire facilite une excitation ectopique qui se propagerait d'un axone à l'autre par le mécanisme de la transmission éphaptique. Le siège supposé de la transmission éphaptique correspond à la zone de transition myéline centrale-myéline périphérique ou REZ. La réorganisation anatomique serait suivie d'une réorganisation fonctionnelle. La déafférentation s'accompagnerai t d'une levée d'inhibition des mouvements réflexes. La zone de transition du nerf facial, lésée par la compression vasculaire, serait la source d'influx nerveux orthodromiques et antidromiques. Les potentiels antidromiques pourraient exciter les motoneurones du nerf facial qui, en retour, donneraient des potentiels orthodromiques responsables de l'hémispasme facial. Traitement par toxine botulique Le traitement symptomatique de l’hémispasme facial repose sur la toxine botulique. En France, deux thérapeutiques ont obtenu l’AMM dans cette indication, le Botox® et le Dysport®. Le délai entre les injections est de 3 à 6 mois (valeurs extrêmes : 2 mois-1 an), variable selon la dose, la disponibilité et la gêne du patient, la rapidité de la rechute et la forme clinique. La posologie est adaptée au patient après examen clinique très minutieux, et réajustée à chaque séance. Ces injections de toxine botulique au niveau de l'orbiculaire des paupières entraînent une amélioration dans plus de 90 % des cas (4). Les effets indésirables sont dosedépendants, toujours transitoires, spontanément régressifs et disparaissent plus rapidement que l’effet de la toxine. L’analyse de la littérature (4 385 patients) ne retrouve pas de complications sévères liées à l’injection de toxine botulique A. Les complications les plus fréquentes étant une vision trouble, un ptôsis modéré, une diplopie verticale, une irritation oculaire avec épiphora, une ecchymose, une faiblesse musculaire faciale et un oedème palpébral (5,6). L’utilisation de toxine botulique a été recommandée comme traitement symptomatique de première intention dans l’hémispasme facial par une conférence de consensus américaine ayant valeur d’avis d’experts. En France, la toxine botulique est également recommandée en première intention (7). La chirurgie Lorsqu'un conflit artérionerveux entre le nerf facial et une boucle vasculaire est mis en évidence, une intervention neurochirurgicale doit être discutée. Elle se conçoit chez des patients très invalidés, jeunes et qui répondent mal à l'injection de toxine botulique. Le traitement chirurgical microdécompressif est également souvent proposé en deuxième intention en cas de spasme de l’hémiface sévère partiellement soulagé par la toxine botulique ou pour répondre au choix du patient (si jeune en particulier). Dans la majorité des cas, la compression responsable est proximale, à la surface pontique ou même au niveau du sillon pontomédullaire à l’origine du nerf facial. Ces zones doivent être précisément visualisées pour garantir le succès de la décompression microvasculaire. La visualisation 3D interactive de la compression vasculo-nerveuse dans la salle d'opération ou lors de la décompression microvasculaire offre l'occasion d'une exploration virtuelle non invasive peropératoire des structures neurovasculaires (8,9). L'ajustement interactif de la visualisation 3D guidée par la vue au microscope permet l'observation des relations neurovasculaires au tronc cérébral. Le microscope opératoire autorise, par le grossissement qu'il procure, des gestes opératoires précis et atraumatiques. L'endoscopie interventionnelle permet une visualisation parfaite de toutes les structures anatomiques vasculaires et nerveuses. L'endoscope assure le diagnostic et le repérage topographique exact du conflit artère-nerf. Le monitoring du nerf facial peropératoire enregistre les contractions musculaires au cours de l'intervention et de ce fait permet de vérifier l'efficacité du geste. Au moment de la décompression, on constate à l'enregistrement la suppression du spasme. La microchirurgie permet la mise en place de l’« isolant » en téflon entre l'artère et le nerf. Toute intervention est contrôlée par film vidéo. Le résultat est immédiat. La plus grande série mondiale (Jannetta, États-Unis) fait état chez 450 patients d’un taux de 95 % de guérison. En pratique, la majorité des patients, en particulier les patients âgés, restent réticents à envisager une chirurgie fonctionnelle et sont satisfaits du traitement symptomatique par toxine botulique. Si l’hémispasme facial est secondaire à une pathologie tumorale de l’angle ponto-cérébelleux, le traitement chirurgical à visée curative est indiqué en première intention. Dans les autres cas, le traitement de première intention est l’injection de toxine botulique A. Au total, l’approche thérapeutique peut être hiérarchisée, ainsi : 1. Traitement médical, mais il est en général décevant. 2. Injections de toxine botulique : elles sont efficaces, mais n’ont qu’un effet palliatif et doivent être répétées. 3. Décompression endoscopique et microchirurgicale, seule approche curative. Conclusion L’hémispasme facial est une pathologie très invalidante dans la vie quotidienne. Elle gêne considérablement les rapports sociaux par la blessure narcissique qu’elle induit dans l’image de soi. Elle est accessible à un traitement symptomatique efficace, la toxine botulique et à la chirurgie. Dans le cas de notre patiente, de toute façon réticente à toute intervention chirurgicale, c’est la première option qui a été choisie. L’évolution à long terme (sept ans après) est toujours favorable ! Une longue histoire de « conflit » résolue…

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème