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Cas cliniques

Publié le 17 juin 2012Lecture 12 min

Les dermatozoonoses autochtones

Y. GALL CHU de Toulouse
Les dermatozoonoses autochtones sont parmi les affections dermatologiques les plus fréquentes. Dues à des piqûres d’insectes, elles sont le plus souvent banales (piqûres de moustiques, de taons, d’abeilles, etc.). Elles peuvent être graves, comme autrefois la peste transmise par la puce du rat. Elles peuvent encore être sérieuses comme les borrélioses ou le loxoscélisme cutané. Leur diagnostic est le plus souvent aisé, mais il peut relever d’une enquête minutieuse basée essentiellement sur l’interrogatoire et l’examen clinique.
La plupart des animaux responsables des dermatozoonoses font partie de la famille des arthropodes : ce sont des animaux composés d’un exosquelette constitué de pièces rigides, en chitine, segmentées et articulées entre elles. On distingue les arachnides (groupe des aranéides [araignées] et les acariens [tiques, aoûtats, sarcoptes]) et les insectes (mouches, moustiques, guêpes, fourmis, puces, punaises, etc.). À propos de quelques observations, de diagnostic trompeur, nous passerons en revue les principales affections transmises par les piqûres ou le contact avec les arthropodes.   De la neurologie à la dermatologie : maladie de Lyme  En décembre 2009, une patiente de 55 ans consulte pour un tableau de polynévrite avec paresthésie des membres supérieurs et altération de l’état général incluant une asthénie marquée. Figure 1. Érythème chronique migrateur après piqûre de tique. L’examen clinique note une diminution des réflexes des quatre membres et une paresthésie des extrémités prédominante de façon bilatérale de C6 à C8. On note une discrète paralysie faciale périphérique droite et un ptosis de l’oeil droit. Le scanner cérébral ne retrouve aucune anomalie. La biologie ne montre pas de syndrome inflammatoire et les sérologies (syphilis, hépatite B, hépatite C, VIH) sont négatives. La ponction lombaire révèle une hyperprotéinorachie (2,48 g/l), une hyperleucocytose (520 GB dont 90 % de lymphocytes). L’électrophorèse des protides du LCR montre une augmentation modérée des gammaglobulines. L’IRM médulaire révèle une prise de contraste intramédullaire en T8, T9 et T10 compatible avec un processus infectieux ou inflammatoire. La sérologie de Lyme est négative pour les IgM et fortement positive (> 400 U/ml) avec un western blot positif (bandes positives en VLSE pour P39 et P17). Devant ce tableau de méningoradiculite d’allure bactérienne, le diagnostic de neuroborréliose est posé, sachant que la PCR herpès est négative dans le LCR et que les sérologies de Legionella, de fièvre Q, de brucellose et de rikettsiose sont négatives. À l’interrogatoire, on retrouve la notion d’une lésion de la jambe dont la patiente avait gardé un cliché et qui correspondait à un érythème chronique migrateur (figure 1). Le traitement comporte Rocéphine ® (2 g/j) et Ciflox®. La patiente est revue fin janvier 2010. Elle est moins asthénique et les douleurs cervicales et dorsales ont disparu. Il persiste des paresthésies au niveau des mains. En mars 2010, la patiente est asymptomatique.   Commentaire Figure 2. Tique Ixodes ricinus. La tique de l’espèce Ixodes ricinus (figure 2) se fixe sur les feuilles ou les branches des arbres et attend le passage d’un animal ou d’un être humain pour s’accrocher à la peau ou au pelage. Dans certains cas, elle peut transmettre une bactérie, Borrelia burgdorferi (un spirochète, comme le tréponème et la leptospire) qui possède un tropisme cutané et neurologique. Le réservoir de la bactérie est vaste : reptiles, oiseaux et mammifères (cervidés, chiens, bétail, petits rongeurs, etc.). La tique est le vecteur, parfois visible à la surface de l’épiderme et il faut l’extraire à l’aide d’une pince car le risque de transmission est proportionnel à la durée de fixation dans la peau (en moyenne 24 à 36 heures). La maladie de Lyme touche environ 5 000 personnes par an en France. Elle est reconnue comme maladie professionnelle. L’érythème chronique migrateur, présent dans 50 % des cas, survient 3 à 30 jours après l’inoculation (1). L’atteinte du nerf facial est fréquente (VII) alors que l’atteinte méningée est muette cliniquement. La phase secondaire apparaît quelques semaines ou quelques mois après la phase primaire, mais peut aussi coexister avec elle. La phase tertiaire apparait plusieurs mois ou années après le début de la maladie. Figure 3. Lésions nécrotiques et douloureuses fronto-pariétales gauches. Les signes cutanés sont classiques (acrodermatite chronique atrophiante, lymphocytome cutané bénin), mais les autres manifestations articulaires (atteinte des grosses articulations avec respect des articulations de la main et des poignets, ce qui la différencie de la polyarthrite rhumatoïde) ou neurologiques (atteintes médullaires ou cérébrales type SEP ou démence…) sont plus difficiles à reconnaître. La présence d’anticorps dans le LCR ou le liquide synovial sont des arguments fiables. Il ne faut pas traiter systématiquement après piqûre de tique, sauf chez la femme enceinte, car il y a risque de transmission foetomaternelle. En phase primaire, le traitement repose sur l’amoxicilline (4 g/j/14 j), les doxycyclines (200 mg/j/14 j) ou la clarithromycine (2 g/j/14 j). En période secondaire, il dure 28 jours.   Errance diagnostique : observer et interroger Figure 4. Lésions papulo-vésiculeuses prurigineuses du tronc évocatrices de prurigo parasitaire. Un homme de 44 ans est adressé par son médecin traitant pour « une urticaire à la pyostacine ». Il présente deux types de lésions : des lésions ulcéro-nécrotiques de la région pariéto-frontale gauche (figure 3) pour lesquelles il a consulté son médecin 8 jours plus tôt. Celui-ci avait porté le diagnostic de furoncles et prescrit de la Pyostacine®. À l’examen, les lésions sont évocatrices d’un zona facial avec irradiation vers le front et la paupière supérieure gauche. Elles sont douloureuses avec sensation de tension et de cuisson.   Figure 5. Larve d’aoûtat. Il n’y a pas d’adénopathie. On observe par ailleurs des lésions maculo-papuleuses sur les épaules, le dos, la partie supérieure du thorax et les bras (figure 4). Elles sont prurigineuses et centrées par un point de piqûre évoquant un prurigo parasitaire. Il n’y a pas de fièvre, ni d’autres signes. Les lésions ne sont pas migratrices ni évocatrices d’une urticaire. L’interrogatoire révèle la notion de travail en forêt pour rapporter des bûches de bois au domicile pendant le week-end. La chronologie des lésions dermatologiques fait penser à l’association d’un zona facial gauche peu étendu (amenant à la prescription d’un macrolide) et d’un prurigo parasitaire par contact avec des insectes contenus dans le bois. Le patient est mis sous Zélitrex® (500 mg fois par jour pendant 10 jours) et sous dermocorticoïde de classe II (2 fois par jour jusqu’à disparition des signes). Huit jours plus tard, les lésions érythématopapuleuses du corps ont disparu, mais il persiste les lésions du cuir chevelu et la symptomatologie douloureuse irradiant vers le front. Le bois coupé sert de nid à certains acariens comme les aoûtats, parfois appelés rougets ou vendengeons, dont les larves (figure 5) provoquent des piqûres sur la peau humaine. Figure 6. Lésions prurigineuses des zones de friction. Il s’agit de Trombicula autumnalis dont la larve vit à la surface du sol ou sur les branches de bois mort, avant de s’agripper à l’homme ou aux animaux. Elle se gave de sang avant de devenir adulte au bout de 7 jours.   Une éruption dont le diagnostic est dans la cour de l’école Une petite fille de 9 ans consulte pour une éruption érythématovésiculeuse très intense autour du bassin (figure 6) et accompagnée de quelques lésions du même type sur les cuisses et les jambes. Figure 7. Chenilles processionnaires traversant la cour de l’école (a). Papillon de nuit, stade adulte de la chenille processionnaire (b). Elle est connue pour des antécédents d’atopie et est adressée pour réaction allergique. Le caractère éruptif et brutal accompagné de la visualisation d’une piqûre centrale permet d’évoquer le diagnostic de prurigo parasitaire. L’interrogatoire retrouve la notion de jeux à l’école autour de chenilles processionnaires qui rentraient de leur repas nocturne. Les photos permettent d’attester la présence de ces chenilles sur le sol de la cour (figure 7a) et du jardin de l’école. Un traitement par dermocorticoïde de classe II appliqué 2 fois par jour a permis la régression rapide des lésions. La chenille processionnaire représente un stade évolutif d’un papillon de nuit (figure 7b) appelé Thaumetopoea processionea pour la processionnaire du chêne et Thaumetopoea pityocampa pour la processionnaire du pin. Alors que les jeunes chenilles orange ont des poils non urticants, celles plus âgées ont des bandes sombres avec des poils urticants. Elles apparaissent au printemps, se regroupent dans des cocons (appelés bourses) et quittent le nid pour aller dévorer les feuilles des arbres (chênes ou conifères) et se transforment en papillons en août. Figure 8. Araignée Loxeles. Les poils des chenilles sont munis de crochets et provoquent la libération d’histamine.   Autres manifestations de piqûres d’arthropodes  Le loxoscélisme cutané (2) est lié à la piqûre d’une araignée appelée Loxosceles rufescens (figure 8) vivant dans le Sud de la France et responsable de lésions nécrotiques et inflammatoires très intenses. Le venin de ces araignées a la particularité de contenir des protéases, des lipases et des hyaluronidases qui activent le complément, provoquent des réactions d’hémolyse locale et de thrombose vasculaire. Les lésions nécrotiques sont importantes et peuvent laisser des cicatrices. Figure 9. Puce de chat vue de face au microscope électronique à balayage.  Les piqûres de puces sont fréquentes. Ces parasites infestent plusieurs types d’animaux : la volaille, le chien, le chat (figure 9), le rat, le lapin et piquent occasionnellement l’homme. Les puces, que Jules Renard appelle « des grains de tabac à ressort », ont une tête munie d’une trompe rigide et pointue comprenant cinq stylets à l’intérieur d’une gouttière associée à une glande salivaire libérant des substances irritantes. Elles ont des pattes allongées et repliées adaptées au saut. La puce de l’homme s’appelle Pulex irritans.  Les piqûres de punaises se produisent la nuit sur les zones découvertes et sont peu douloureuses. Elles sont volontiers linéaires. Il est possible de retrouver des taches de sang sur la literie ou les vêtements. De couleur brune, il existe plus de 27 000 espèces de punaises dans le monde. Le diagnostic est évoqué en cas de déménagement récent, de séjour dans un logement ancien ou de plancher ancien comportant des lattes de bois où elles se réfugient. Les punaises ont un corps aplati et des pattes toutes semblables conformées pour la marche.  Les piqûres de moustiques sont le plus souvent dues au moustique commun (Culex pipiens). Il possède une trompe télescopique qui permet à la femelle de pomper le sang de ses victimes, alors que le mâle se nourrit du nectar des fleurs. La femelle peut doubler son poids en un seul repas. Pour que le cycle soit complet, il faut de l’eau stagnante (où se développe les larves et les nymphes) et une température extérieure minimale. Figure 10. Cercaire responsable de la dermite des baigneurs. Sa durée de vie varie entre 6 et 10 jours. La femelle pique et pond tous les 4 jours (soit 300 à 400 oeufs pendant les 4 à 6 semaines de son existence). Le moustique européen ne transmet aucune maladie à la différence d’Aedes albopictus responsable de la transmission du Chikungunya(3) dont le premier cas a été détecté sur le territoire métropolitain en septembre 2010 dans le Var.   Les simulies font partie de la famille des moucherons. Elles mesurent 1,5 à 5 mm de longueur. De couleur noire ou rougeâtre, elles attaquent les animaux près des marécages ou des rivières. Elles propagent certaines maladies en Afrique et en Amérique centrale (onchocercose).  Les piqûres de taons ou de guêpes peuvent être très douloureuses et provoquer des réactions anaphylactiques.  Les cercaires (figure 10) représentent le stade ultime de l’évolution larvaire des schistosomes, trématodes des eaux douces qui infestent les escargots (hôtes intermédiaires) vivant dans la vase des lacs, des étangs ou des rivières, puis les oiseaux aquatiques comme les canards (hôtes définitifs). Ils peuvent contaminer l’homme (hôte accidentel) et être responsables de prurit après une baignade en eau douce (dermatite des baigneurs). Plusieurs épidémies ont été rapportées en Franche-Comté et autour du lac d’Annecy. En pratique, on retiendra Figure 11. Quelques exemplaires d’organes piqueurs : chez l’abeille (a) et chez le taon (b). Le type des réactions observées lors des piqûres d’arthropodes(4) dépend à la fois : – du type d’organe piqueur (figure 11) (le taon a deux stylets puissants, l’abeille un dard muni de crochets…) ; – du type de substance injectée. Chez les hématophages (moustique, tique, etc.) c’est en général la salive qui est irritante. Elle contient des substances anticoagulantes et des protéases. Les venins contiennent des substances irritantes comme les monoamines ; – de la possibilité de transmission de parasites ou de virus ; – et de la réaction de l’hôte. En cas de piqûres répétées ou de sensibilisation avec terrain allergique, apparaît le tableau du prurigo strophulus. Le diagnostic repose sur : – quelques éléments d’orientation diagnostique : penser à une dermatozoonose si les lésions sont papulo-vésiculeuses, prurigineuses, centrées par une piqûre, et si elles sont à disposition linéaires et regroupées par zones ; – et quelques questions à poser à la recherche d’une notion de déménagement récent ou de séjour dans un logement vétuste ou ancien ; notion de promenade en forêt ou à la campagne ; de jeux ou de piquenique au jardin ; de contact avec du bois ou des végétaux coupés et stockés…

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