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Cas cliniques

Publié le 22 juin 2011Lecture 8 min

Migraine ? accompagnée…

Pascale, une jeune fille de 17 ans et 3 mois, vient aux urgences pour un flou visuel ressenti au niveau de l’oeil droit et des céphalées controlatérales.
Histoire clinique L’épisode qui a conduit Pascale aux Urgences est apparu brutalement au cours de la journée après la perception de tâches noires puis d’un halo blanc avec un point noir central associé à des céphalées contro-latérales. C’est le premier épisode de ce genre chez une jeune fille sans antécédents particuliers. L’interrogatoire retrouve la notion d’un traitement antibiotique par minocycline débuté une semaine auparavant pour une acné modérée du visage, associé à du peroxyde de benzoyle en gel. Pascale est la fille unique de ses parents, mais elle a une demisoeur aînée d’un premier mariage de sa mère et deux demi-soeurs plus âgées d’un premier mariage de son père, chez qui elle vit depuis la séparation de ses parents. Le père signalera en aparté que sa fille a récemment été très choquée d’apprendre que sa grand-mère venait d’être hospitalisée pour intervention chirurgicale, suite à la découverte d’un cancer. À l’examen, elle est en bon état général, pesant 51 kg pour une taille de 160 cm. Elle est apyrétique et n’a pas présenté les jours précédents d’histoire infectieuse. La fréquence cardiaque est à 66/min avec une pression artérielle à 103/58 mmHg. L’auscultation cardiaque est normale ainsi que l’auscultation des axes vasculaires, sans souffle. L’auscultation pulmonaire est normale, sans toux ni dyspnée. L’abdomen est souple indolore, sans hépato-splénomégalie, mais elle se sent quelque peu nauséeuse. Cette jeune fille est réglée depuis l’âge de 14 ans et les cycles sont réguliers. À l’examen neurologique, la force musculaire est normale, symétrique, tout comme les reflexes ostéo-tendineux. Figure 1. TDM sans injection : absence d’hémorragie, de masse ou d’anomalies stucturelles. Il existe cependant une hypoesthésie du membre supérieur droit avec sensation d’engourdissement. Elle se plaint de céphalées plutôt diffuses, non latéralisées et si l’oculomotricité est normale et non douloureuse, elle déclare avoir une diminution nette de la vision à droite (rétrécissement du champ visuel et acuité très faible). La pupille droite est en légère mydriase, peu réactive par rapport au côté gauche, où le réflexe photomoteur est parfaitement normal ; le réflexe consensuel est symétrique. Un bilan biologique est prélevé (encadré), un scanner cérébral (figure 1) est réalisé.   Quelles sont vos hypothèses diagnostiques ?   Premières hypothèses • Le tableau présenté par cette jeune fille – céphalée unilatérale avec troubles visuels, scotome, baisse d’acuité visuelle, réduction du champ visuel et manifestations neurologiques contro-latérales (hypoesthésie du bras), contemporains d’un épisode céphalalgique – évoque en premier lieu une migraine ophtalmique ou « accompagnée ». Mais l’interrogatoire ne retrouve pas d’antécédents de ce type, chez elle comme dans sa famille, et cela doit rester un diagnostic d’élimination. • La prise de cyclines peut être source d’hypertension intracrânienne, surtout en début de traitement, mais les céphalées sont relativement atypiques, car unilatérales ; par ailleurs, s’il existe quelques nausées, il n’y a pas de vomissements, ni de parésie oculomotrice.   Démarche diagnostique • Le « maître symptôme », le plus préoccupant dans ce tableau, est la diminution de l’acuité visuelle, de survenue plutôt brutale, chez une jeune fille sans antécédents pathologiques notables, ni ophtalmologiques ni traumatologiques ; il demande une démarche diagnostique étiologique rapide. • L’absence d’oeil rouge ou douloureux permet d’éliminer d’emblée : – un glaucome, car le caractère douloureux serait au premier plan, pouvant être associé à des signes d’intolérance générale (nausées, vomissements) et une asymétrie de la taille de l’oeil atteint (buphtalmie) ; – une uvéite antérieure aiguë, souvent associée à une pathologie générale, qui semble absente ici ; sa recherche nécessiterait des explorations ciblées de pathologies inflammatoires systémiques ; – une kératite aiguë infectieuse (herpétique, unilatérale, virale – bilatérale) ; le larmoiement et la photophobie intense associées sont ici absents. • Devant cet oeil blanc et indolore, qui pour autant ne doit pas nous « rassurer », il est nécessaire de réaliser rapidement un examen ophtalmologique qui permet par l’étude du fond d’oeil d’éliminer : – un décollement de rétine ; il peut survenir à tout âge, mais chez l’enfant ou l’adolescent, souvent dans un contexte traumatique ; ou en cas de myopie, que cette jeune fille ne présente pas ; – une hémorragie intravitréenne ; elle est plutôt associée à une rétinopathie diabétique, mais elle peut être déclenchée par une poussée hypertensive, ici absente ; – une névrite optique rétrobulbaire, qui va être mise en évidence chez Pascale, et dont le caractère unilatéral doit faire évoquer la possibilité d’une affection démyélinisante, et en premier lieu, chez une adolescente, la possibilité d’une poussée de sclérose en plaques.   Commentaire La survenue d’une névrite optique rétrobulbaire (NORB), qui n’est pas un événement exceptionnel, impose un diagnostic étiologique précis et nécessite un traitement antiinflammatoire précoce (corticoïdes), qui, sans améliorer la qualité de la récupération de la fonction visuelle, permet d’en hâter la survenue.     Figure 2. Champ visuel de l’oeil gauche (normal) (B) et de l’oeil droit (A) (réduction majeure). Étiologies de la NORB La névrite optique rétrobulbaire, ou neuropathie optique, est une inflammation du nerf optique, elle touche avant tout l’adulte jeune entre 20 et 40 ans avec une nette prédominance féminine et reconnaît de multiples causes :  Figure 3. IRM (FLAIR) : zones d’hypersignal (périventriculaires) en faveur d’une atteinte démyélinisante. • infections bactériennes : – infection loco-régionale (sinusite, infection dentaire, méningée) ; – infection générale (tuberculose, toxoplasmose, cryptococcose, syphilis) ; – infections virales (herpès, EBV, CMV, VIH), ou chez l’enfant au cours d’infections virales plus courantes (rougeole, varicelle, oreillons), avec une atteinte plutôt bilatérale ; • pathologies inflammatoires (LEAD, syndrome de Gougerot- Sjögren, maladie de Behçet) ; • sarcoïdose ; • une hypertension artérielle doit être recherchée, de même qu’un syndrome tumoral intra-orbitaire comprimant le nerf optique (atteinte unilatérale) ou cérébral comprimant le chiasma (atteinte bilatérale). Le caractère « idiopathique » d’une NORB, en l’absence d’étiologie initiale, correspond le plus souvent à la première manifestation d’une affection démyélinisante, et dans plus de 50 % des cas, un diagnostic de sclérose en plaques y sera associé ultérieurement à l’occasion d’une nouvelle poussée de la maladie, ou face à des anomalies IRM répondant à des critères précis (Mac Donald).   Sémiologie de la NORB Le signe principal d’une NORB est une baisse majeure de l’acuité visuelle (< 1/10) rapide en quelques heures, parfois brutale, le plus souvent unilatérale, avec une douleur orbitaire ou frontoorbitaire. Il existe une altération du champ visuel (scotome central), avec diminution de la perception des couleurs (rougevert), des contrastes et de l’intensité lumineuse. Le fond d’oeil peut être normal, d’où l’aphorisme « le malade ne voit rien, l’ophtalmologue non plus », car l’atteinte est rétrobulbaire, mais il peut y être associée une atteinte antérieure avec oedème papillaire, comme c’était le cas dans cette observation.   Histoire clinique (suite et fin) • Le scanner cérébral réalisé en urgence est normal (figure 1), sans effet de masse. • L’examen ophtalmologique sera complété par un champ visuel (figure 2). • Un bilan d’auto-immunité est prélevé avec recherche d’anticorps antineuromyélite optique (NMO), antinucléaires, anti-antigènes nucléaires solubles, qui s’avèrera négative. • Trois perfusions intraveineuses de méthylprednisolone de 1 000 mg (30 mg/kg, max. 1 000 mg) seront pratiquées avec une bonne tolérance clinique, sans poussée hypertensive, avant relais par une corticothérapie orale à 1 mg/kg/j pendant une dizaine de jours supplémentaires. • L’IRM, réalisée 4 jours plus tard, mettra en évidence plusieurs signaux de la substance blanche, périventriculaires et sous-corticaux, dont le nombre est en faveur du diagnostic de sclérose en plaques (figure 3). Le diagnostic est donc celui d’une névritre optique rétrobulbaire, première expression d’une sclérose en plaques chez une jeune fille de 17 ans. La récupération de la vision se fera progressivement avec, un mois après son hospitalisation, une bonne récupération, quoique incomplète de la vision de l’oeil droit, qui reste floue. Si le pronostic sur le plan visuel est rassurant, l’avenir est beaucoup plus incertain, nécessitant une surveillance neurologique et ophtalmologique régulière de l’évolution de la sclérose en plaques dont la première poussée vient de survenir.  

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