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Cas cliniques

Publié le 30 juin 2008Lecture 8 min

Une boiterie soudaine et inexpliquée

D. ARMENGAUD, CHI, Poissy/Saint-Germain-en-Laye
Thierry, garçon de 7 ans sans antécédents particuliers, s’est plaint au réveil d’une douleur du pied gauche, apparue apparemment spontanément, sans notion de traumatisme. La gêne fonctionnelle est telle qu’il est amené aux urgences d’un hôpital voisin.
Histoire clinique  L’examen clinique d’entrée ne révèle pas de limitation douloureuse de l’articulation, ni de signes inflammatoires locaux ou généraux (il est apyrétique). Une radiographie du pied est réalisée (figure 1) et considérée comme normale. Le bilan biologique montre 9 900 GB/mm3 et une CRP 4mg/l. Un traitement antalgique par paracétamol est prescrit. Figure 1. Radiographie du pied gauche.  La douleur persiste sans grande atténuation, mais la survenue d’un vomissement et de quelques frissons inquiètent les parents qui décident de revenir aux urgences, ce d’autant que le pied leur paraît gonflé.  Thierry est toujours en bon état général, apyrétique (37°2) ; l’examen clinique est normal en dehors du pied gauche qui présente effectivement un œdème de la face externe avec un aspect hématique faisant suspecté un hématome ce d’autant qu’il existe une douleur à la pression.   Examens biologiques • NFS – Hb :  12,4 g/100 ml  – GR : 4 0130 000/mm3 ; VGM 85 µ3 – GB : 8 000/mm3 (56 % de PNN) – Plaquettes : 279 000/mm3 • VS : 16/ 38 mm • Taux de Prothrombine 82 % • TCA : 33 s pour un témoin à 39 s • BU : absence de protéinurie • CRP : 5 mg/l La reprise de l’interrogatoire très « orienté » ne retrouve toujours pas de notion de traumatisme. Il n’y a pas de plaie cutanée, pas d’éruption, et les autres articulations sont libres. Cependant, on apprend que ce garçon est un grand sportif faisant plusieurs heures par semaine du football et du tennis. Les douleurs paraissent plutôt mécaniques, dans la mesure où elles sont diurnes et jamais nocturnes, et paraissent se calmer avec le repos. Un nouveau bilan biologique est prélevé et un scanner du pied est demandé (figure 2). En haut : figure 2a : TDM du pied (fenêtre osseuse) : structures osseuses normales. En bas, figure 2b. TDM du pied (fenêtre parties molles) : absence d’anomalies des parties molles. Quel est votre diagnostic ? Discussion diagnostique   Le caractère soudain de la douleur et l’œdème cyanique retrouvé à l’examen font bien sûr évoquer en premier lieu la possibilité d’un traumatisme chez ce garçon sportif avec comme diagnostic à évoquer : – une entorse grave, plutôt rare à cet âge compte tenu de la souplesse des ligaments ; – une fracture d’une malléole ou d’un os du tarse, mais la radiographie du pied et le scanner ne montrent aucune lésion osseuse, ni la présence d’un hématome sur les fenêtres réalisées.   L’hypothèse d’une infection ostéo-articulaire – ostéite, ostéomyélite ou arthrite – ne peut être écartée bien que cet enfant soit apyrétique, sachant que dans ce cas l’absence d’anomalie radiologique évocatrice est attendue du fait d’un retard radio-clinique habituel d’une dizaine de jours. Cependant,  le bilan biologique inflammatoire fait à 24 heures d’intervalle ne montre pas de décalage significatif, et cela est plutôt rassurant.   Chez ce garçon sportif, quelques diagnostics « à nom propre » peuvent être évoqués : • une ostéochondrose du calcanéum, ou maladie de Sever qui est le plus souvent liée à des micro-traumatismes (choc mal amorti du talon [tennis sur terrain dur], traction excessive du tendon d’Achille [football]) ; • une ostéochondrite du deuxième métatarse, ou maladie de Freiberg ; • une ostéochondrite de l’astragale. Ces trois diagnostics sont écartés, car l’examen ne retrouve ni une douleur élective, « exquise », de la pointe du talon pour l’une, ou sous l’avant-pied pour l’autre, ou en flexion-extension de la cheville pour la troisième. Les anomalies radiographiques, qui devraient déjà être « parlantes », sont absentes : aspect densifié ou fragmenté du noyau d’ossification de la grosse tubérosité du calcanéum ; tassement de la tête du deuxième métatarse ; condensation, voire séquestre du dôme de l’astragale.   L’absence d’anomalie radiologique permet d’éliminer un processus tumoral bénin (ostéome ostéoïde), ou a fortiori malin.   Le caractère unilatéral et l’œdème associé amènent à pousser plus loin les investigations car ici moins encore que dans d’autres situations confuses, il serait opportun de parler de douleurs de croissance qui « n’existent pas » en tant que telles, et ne sont qu’un diagnostic « cache-ignorance » ! Alors, quel diagnostic encore évoquer et quel examen demander ? Après discussion, une scintigraphie osseuse est demandée, cherchant à avoir une localisation plus précise du point de départ, et c’est de manière quelque peu surprenante qu’une hypoperfusion de tout le pied gauche a été mise en évidence, faisant porter le diagnostic d’algoneurodystrophie.   Étiologie des algoneurodystrophies (adulte - enfant) • Traumatismes (50 %) – accidentel ou chirurgical ; – sans relation avec la sévérité du traumatisme (fracture, entorse, luxation) ou du type d’intervention chirurgicale ; – délai d’apparition variable de quelques jours à quelques semaines. • Pathologies neurologiques – traumatisme crânien ; – accident vasculaire cérébral, tumeur cérébrale. • Pathologies viscérales – arthrite aiguë ; – diabète, hypothyroïdie ; – chirurgie thoracique, infarctus du myocarde ; – phlébite. • Grossesse (hanche) • Médicaments (atteintes plurifocales) – phénobarbital (« ex » rhumatisme gardénalique) ; – isoniazide (membres supérieurs). • Essentielles (20 %) Figure 3. Scintigraphie au technetium.  a – Face antérieure, cliché précoce. Hypoperfusion de l’ensemble du pied gauche. b – Face postérieure, cliché tardif. Commentaire • L’algoneurodystrophie concerne plus souvent les adolescents et l’adulte. Elle se présente avant tout par des manifestations douloureuses qui, comme ici, sont trompeuses, n’ayant pas toujours les caractéristiques évocatrices du diagnostic : douleurs constrictives, pénétrantes ou à type de brûlures, exacerbées par le frottement ou le toucher. • Tout comme pour les ostéochondroses (atteinte apophysaire) ou ostéochondrite (atteinte épiphysaire), les traumatismes répétés ou les contraintes mécaniques excessives peuvent être incriminés. Un terrain psycho-logique particulier, fait de perfectionnisme, de difficultés adaptatives aux changements (séparation, déménagement) est parfois allégué comme une origine possible (oserait-on alors parler de « migraine osseuse » ?). • Comme dans le cas présent, deux tableaux cliniques, successifs, mais souvent alternants et rarement « opposés », peuvent se rencontrer : – une forme chaude  avec rougeur et chaleur plus rare chez l’enfant, évoluant sur quelques semaines, réalisant une « arthrite sans arthrite » : douleurs vives augmentant avec les mouvements ou la mise en charge, incomplètement calmées la nuit ; troubles vasomoteurs (chaleur, œdème, sudation) ; absence de fièvre ou de syndrome inflammatoire. Elle peut débuter sous plâtre, et alors  l’algodystrophie doit être formellement différenciée d’une phlébite (chez l’adolescent tout particulièrement), ou d’un syndrome de compression ; – une forme froide, inconstante, marquée par des troubles trophiques d’autant plus importants qu’elle dure longtemps, jusqu’à la guérison qui peut demander 12 à 24 mois : hypothermie du membre atteint, donnant un  aspect cyanique ou source d’acrocyanose ; peau lisse atrophique ; ongles friables. • L’imagerie est la clé du diagnostic. – La radiologie standard est peu utile, au début, sauf à éliminer une tumeur et un traumatisme osseux. L’apparition d’une déminéralisation est tardive, mais son caractère localisé et le respect  des interlignes articulaires sont évocateurs. – La scintigraphie osseuse au technetium 99 m se caractérise par une hyperfixation au temps précoce (vasculaire) et tardif (osseux), dans les formes chaudes ; elle n’est en cela pas spécifique, sauf peut être par son caractère « régional » et non localisé. Chez l’enfant, comme dans le cas présent, c’est plutôt une hypofixation régionale (amputation isotopique) qui est fréquemment retrouvée. – L’IRM révèle des anomalies aussi précoces et probablement plus spécifiques que la scintigraphie : œdème médullaire touchant plusieurs pièces osseuses ; hyposignal en T1, hypersignal en T2. Mais la disponibilité des machines en réduit l’usage. Traitement et évolution En l’absence de traitement spécifique, des mesures symptomatiques sont proposées : – repos/suppression de l’appui en période douloureuse, mais en proscrivant l’immobilisation stricte et en limitant les contraintes  mécaniques excessives ; – kinésithérapie devant être progressive et indolore (car elle peut aggraver la phase initiale), surtout utile secondairement en cas d’enraidissement articulaire ou de rétraction musculoligamentaire, ce qui est rare chez l’enfant ; – traitement antalgique (palier I ou II), mais d’efficacité modeste. Revu en consultation 3 mois après l’épisode, Thierry était asymptomatique et reprenait ses activités sportives… avec modération.

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