publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Infection, Inflammation

Publié le 27 aoû 2006Lecture 15 min

Les nouveaux aspects neurologiques du SIDA

Dr Jean Paul Viard, Service des Maladies Infectieuses, Hôpital Necker, Paris
L’efficacité des trithérapies antirétrovirales (traitement antirétroviral hautement actif ou, en Anglais, « HAART » pour (highly active antiretroviral therapy) est démontrée par la réduction spectaculaire de la mortalité et de la morbidité liées à l’infection à VIH. Cela vaut aussi pour les principales complications neurologiques : infections opportunistes du système nerveux central (SNC) et encéphalopathie due au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) lui-même, qui sont en nette régression depuis 1996. Pour autant, ces complications n’ont pas disparu : les infections opportunistes, dont celles touchant le système nerveux, peuvent encore être la circonstance de découverte de la séropositivité. Par ailleurs, une minorité de patients se trouvent aujourd’hui en situation d’échec immunovirologique sévère et restent exposés à un risque infectieux élevé. Enfin, certaines complications du sida, comme les lymphomes, n’ont pas vu leur incidence diminuer malgré la restauration immunitaire que permet la trithérapie.
  Neurotropisme du VIH   Encéphalopathie à VIH Le VIH possède un tropisme pour le SNC : il n’infecte pas les neurones mais les cellules microgliales (apparentées aux monocytes-macrophages)1,2. Il entraîne un dysfonctionnement de ces cellules, une dérégulation cytokinique et la production de médiateurs excito-toxiques aboutissant à une neurotoxicité indirecte. La réplication du VIH dans le SNC est bien démontrée et ce, dès la primo-infection pendant laquelle une méningite lymphocytaire et, plus rarement, une polyradiculonévrite ou des signes focaux, peuvent être observés. Il s’agit en outre d’un compartiment relativement autonome par rapport au compartiment sanguin, comme le montre la possible évolution divergente des mutations de résistance aux antirétroviraux dans le plasma et le liquide céphalo-rachidien (LCR).   La réplication du VIH dans le SNC est bien démontrée et ce, dès la primo-infection.   La leucoencéphalopathie à VIH, définissant le SIDA et survenant le plus souvent en-dessous de 200 cellules CD4/mm3, est caractérisée initialement par des troubles des fonctions supérieures (anomalies de concentration, de la mémoire, du calcul…) reflétant la localisation préférentiellement antérieure (fronto-temporale) du processus. C’est seulement après une longue évolution que des signes moteurs apparaissent. Il s’agit d’un diagnostic d’élimination, porté après avoir écarté les autres infections virales du SNC possibles dans ce contexte. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) peut, cependant, être fortement évocatrice lorsqu’elle montre à la fois une atrophie cortico-sous corticale, une atrophie du corps calleux et, en séquence T2, des hypersignaux de la substance blanche frontale et temporale (voir figure 1 ci-dessous. Le traitement antirétroviral est efficace sur les signes cliniques et sur l’imagerie. Beaucoup plus rare, l’atteinte médullaire du VIH réalise un tableau de sclérose combiné de la moelle (atteinte cordonnale postérieure et pyramidale).     Figure 1. Leucoencéphalite à VIH. L’IRM pondérée en T2 montre un hypersignal de la substance blanche en fronto-temporal, particulièrement bien visible au niveau du corps calleux (flèche). Neuropathies périphériques Comme d’autres infections virales, par exemple le cytomégalovirus (CMV), le VIH peut être à l’origine de neuropathies périphériques, le plus souvent polynévrites sensitivo-motrices, volontiers très douloureuses, liées à une infiltration du nerf par des cellules mononucléées et à la présence du virus lui-même3. Des mononévrites multiples (multinévrites) sont également possibles par le biais d’une vascularite. Le diagnostic étiologique n’est pas toujours facile, selon le contexte : degré d’immunodépression laissant ou non ouverte la possibilité d’infections opportunistes (essentiellement CMV), présence ou non d’un traitement neurotoxique (certains antirétroviraux le sont), ou de tout autre facteur causal de neuropathie périphérique (alcool, toxiques, gammapathie monoclonale…).   Infections opportunistes du système nerveux central   Infections parasitaires : la toxoplasmose La toxoplasmose cérébrale est l’archétype de l’infection opportuniste : infection fréquente (séroprévalence de l’ordre de 70 % en France), anodine le plus souvent, avec persistance asymptomatique, sous forme de kystes présents dans le cerveau et le muscle, de l’agent responsable (Toxoplasma gondii) pendant toute la vie de l’individu. L’effondrement de l’immunité cellulaire, en pratique au-dessous de 150 CD4/mm3, autorise le réveil de l’infection, typiquement ici sous la forme d’abcès cérébraux (il existe aussi des chorio-rétinites toxoplasmiques et des toxoplasmoses disséminées, gravissimes)1,2. Devant des symptômes neurologiques variés, dépendant de la localisation du ou des abcès (signe moteur focal, aphasie, syndrome cérébelleux unilatéral, convulsions, etc.), mais parfois très discrets (simple céphalée voire fièvre isolée), c’est l’imagerie avec injection de produit de contraste, par tomodensitométrie (TDM) ou IRM, qui conforte le diagnostic, évoqué de principe chez un sujet séropositif pour le VIH et pour la toxoplasmose. On observe typiquement une image en cocarde : plage d’œdème périphérique, coque de l’abcès prenant le contraste et nécrose au centre (figure 2). L’effet de masse est variable. La pluralité des images, leur localisation périphérique sont des arguments supplémentaires pour leur origine toxoplasmique. La difficulté est davantage d’y penser lorsque la toxoplasmose est la manifestation inaugurale de l’infection à VIH. L’attitude thérapeutique, lorsque l’infection à VIH est connue ou confirmée, sera de toute façon de mettre en œuvre un traitement antitoxoplasmique d’épreuve (association de sulfasalazine ou de clindamycine avec la pyriméthamine) : en cas d’échec clinique et radiologique, des investigations complémentaires (biopsie cérébrale) pourront être décidées.     Figure 2. Toxoplasmose cérébrale. La TDM réalisée après injection de produit de contraste, montre deux abcès (flèches), caractéristiques par leur disposition périphérique et leur aspect en cocarde : plage d’œdème hypodense au sein de laquelle on trouve la coque de l’abcès fixant le produit de contraste, autour d’une zone de nécrose.   Comme pour toutes les infections opportunistes, le traitement obéit à quelques principes simples mais impératifs : traitement d’attaque à forte dose, ici 4 à 6 semaines, relayé par un traitement prophylactique secondaire (prévention des rechutes) à dose réduite, et, si le patient ne le reçoit pas encore, mise en route légèrement décalée du traitement antirétroviral pour obtenir une restauration immunitaire autorisant à distance l’arrêt du traitement d’entretien.   L’effondrement de l’immunité cellulaire, au dessous de 150 CD4/mm3, autorise le réveil de l’infection toxoplasmique.   Infections fungiques : la cryptococcose L’infection à cryptocoque (due à Cryptococcus neoformans, véhiculé par les oiseaux) entraîne au cours de la maladie à VIH une atteinte neuroméningée, avec le plus souvent des signes de dissémination (fungémie, présence dans les urines, signes cutanés). C’est une maladie grave du sujet très immunodéprimé (CD4 < 100/mm3). La présentation clinique est typiquement celle d’une méningite, avec parfois signes focaux ou paralysie d’un nerf crânien, mais la symptomatologie peut être initialement fruste (céphalées, fièvre). À l’inverse, l’hypertension intracrânienne, très caractéristique de cette infection, peut d’emblée entraîner des signes de gravité : troubles de la conscience et convulsions. L’imagerie réalisée en urgence pourra mettre en évidence une dilatation caractéristique des espaces de Virchow-Robin1,2 (figure 3). Le diagnostic repose sur la ponction lombaire, qui ramène un LCR hypertendu, souvent hypercellulaire (lymphocytes) et hypoglycorachique. Surtout, on met en évidence le germe (coloration à l’encre de Chine) ou son antigène polysaccharidique (test de détection spécifique), éléments confirmés ultérieurement par les résultats de la culture. Le traitement est urgent et repose sur les antifungiques puissants (classiquement amphotéricine B et la 5-fluoro-cytosine, relayés par le fluconazole). Les manifestations paroxystiques de l’hypertension intracrânienne seront utilement traitées par des ponctions lombaires soustractives. La cryptococcose est une maladie grave du sujet très immunodéprimé (CD4 < 100/mm3)     Figure 3. Méningoencéphalite à cryptocoque. L’IRM, pondérée en T1, montre la dilatation des espaces de Virchow-Robin, normalement virtuels, iso-intense au LCR, réalisant un aspect multi-ponctué du parenchyme cérébral (flèches).  Infections virales  Le cytomégalovirus Le CMV s’exprime au cours du sida le plus souvent par une atteinte rétinienne, mais on rencontre aussi des localisations neurologiques centrales (méningo-encéphalites, méningo- radiculites) ou périphériques1,2. Ces complications surviennent toutes en dessous de 100 CD4/mm3. En cas de méningo-encéphalite à CMV, volontiers révélée par des troubles aigus des fonctions supérieures, l’imagerie cérébrale est peu spécifique (lésions focales, multi-micronodulaires diffuses ou, plus évocatrice, prise de contraste périventriculaire [figure 4]) et le diagnostic doit être orienté ou confirmé par la recherche d’un foyer rétinien et de la réactivation du virus dans le sang et surtout dans le LCR (amplification génique)4. Le LCR est ici habituellement très hyperprotidique et hypercellulaire (lymphocytes ou, plus évocateurs encore, polynucléaires non altérés).       en T1, après injection de gadolinium, montre une prise de contraste péri-ventriculaire, bien visible en antérieur (flèche).   Le traitement est difficile, nécessitant l’association de deux antiviraux efficaces sur le CMV : foscarnet et ganciclovir.   Les complications du CMV surviennent toutes en dessous de 100 CD4/mm3.    Autres herpesviridae Des méningo-encéphalites à virus varicelle-zona (VZV) et des infections, volontiers récurrentes à virus Herpes simplex (méningites) ont été décrites chez les patients porteurs du VIH. Cependant, les encéphalites herpétiques n’y semblent pas plus fréquentes que dans la population non immunodéprimée ; notons simplement que le virus HSV2 peut être impliqué, ce qui ne se voit pas chez le sujet immunocompétent1,4.  La leucoencéphalite multifocale progressive La leucoencéphalite multifocale progressive (LEMP) est une atteinte de la substance blanche due au polyomavirus JC. Il s’agit d’une maladie démyélinisante extrêmement grave, classiquement l’apanage du sujet très immunodéprimé (CD4 < 100/mm3), même s’il existe d’assez nombreuses exceptions à cette règle1,2. Son diagnostic différentiel est essentiellement la leucoencéphalite à VIH. Schématiquement, la LEMP a une installation plus rapide, moins fluctuante, elle affecte préférentiellement les zones postérieures du cerveau (prédominance des signes moteurs, visuels ou cérébelleux et fonctions supérieures intactes) et réalise en IRM un tableau plus tranché (hyposignal en T1, fort hypersignal en T2, créant un aspect de « positif-négatif ») (figure 5). Le diagnostic est confirmé par l’analyse du LCR où l’on met en évidence le génome viral par amplification génique 4. Il n’existe pas à l’heure actuelle de traitement spécifique de la LEMP d’efficacité démontrée, même si des tentatives de traitement par le cidofovir peuvent être justifiées5. Seule la restauration immunitaire entraînée par le traitement antirétroviral peut faire espérer une stabilisation (rarement une régression) des lésions.   Le diagnostic de LEMP est confirmé par l’analyse du LCR où l’on met en évidence le génome viral par amplification génique du LCR.     Figure 5. Leucoencéphalite multifocale progressive. L’IRM, en séquence « FLAIR » montre un hypersignal bilatéral, extrêmement intense des lobes occipitaux. Infections bactériennes  Mycobactéries La tuberculose est plus fréquente, plus volontiers disséminée chez les personnes porteuses du VIH, et la tuberculose neuroméningée (atteintes méningées, méningo-radiculaires ou abcès cérébraux) doit être évoquée de principe 1,2. Les règles de diagnostic et de traitement sont les mêmes que pour les sujets non infectés par le VIH. Les mycobactéries non tuberculeuses (essentiellement Mycobacterium avium intracellulare) sont des agents opportunistes fréquemment retrouvés, à l’origine de symptômes généraux (asthénie, fièvre, pancytopénie) chez les patients les plus immunodéprimés. Rarement, elles peuvent toucher le système nerveux central (méningites, lésions parenchymateuses cérébrales).   La tuberculose neuroméningée doit être évoquée de principe chez les sujets porteurs du VIH.    Syphilis Soulignons le problème particulier posé par la syphilis, en augmentation dans la population des personnes séropositives, chez qui la neurosysphilis est plus fréquente. Son diagnostic est difficile (LCR inflammatoire non spécifique, imagerie peu évocatrice). La difficulté est surtout d’y penser (demander la sérologie syphilitique sur le LCR). En amont, le dépistage et le traitement de la syphilis sont donc d’une importance majeure.   Lymphomes cérébraux primitifs   À l’inverse de ce qui a été observé pour les infections opportunistes, l’incidence des lymphomes non hodgkiniens, complications classiques du sida, n’a pas diminué à l’ère des multithérapies antirétrovirales. Les lymphomes cérébraux primitifs, ici constamment liés au virus d’Epstein-Barr sont assez rares, mais leur incidence semble, elle aussi, rester relativement constante. Leur symptomatologie dépend de la localisation anatomique, et la fièvre est fréquente. Le diagnostic différentiel en imagerie est essentiellement l’abcès toxoplasmique : ici la lésion est typiquement unique, la localisation moins systématiquement périphérique, l’aspect est plus irrégulier et « infiltrant »1,2 (figure 6). La prescription en urgence d’un traitement antitoxoplasmique est acceptable en cas de doute, dans l’attente des examens complémentaires : la présence du génome EBV dans le LCR (amplification génique) est un argument fort pour le diagnostic de lymphome 4. Le traitement repose sur la chimiothérapie et la radiothérapie.     Figure 6. Lymphome cérébral primitif. La TDM réalisée après injection de produit de contraste montre une lésion irrégulière (flèche), à cheval sur les deux hémisphères, infiltrant le parenchyme et remplissant les ventricules plus qu’elle ne les refoule. Comparer à l’aspect réalisé par un abcès toxoplasmique sur la figure 2.     La présence du génome EBV dans le LCR est un argument fort pour le diagnostic de lymphome.     Médicaments du SIDA et système nerveux   Toxicité sur le système nerveux central Parmi les antirétroviraux, l’efavirenz (un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse) possède un profil de toxicité particulier sur le système nerveux central : en début de traitement, il peut entraîner des sensations de vertige, un état ébrieux et des anomalies de concentration qui peuvent être gênants. On recommande donc la prise de ce médicament le soir au coucher6. Ces symptômes qui ne revêtent pas de caractère de gravité neurologique vont normalement disparaître spontanément. En outre, les patients décrivent fréquemment une activité onirique intense. Plus préoccupants sont les troubles de l’humeur pouvant survenir de façon plus insidieuse : irritabilité ou dépression. Ce dernier symptôme peut poser des problèmes délicats de gestion et d’imputabilité dans ce contexte et il faut se souvenir que des tentatives de suicide ont été rapportées chez des patients traités par l’efavirenz. Neuropathies périphériques médicamenteuses Les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse exercent, à des degrés variables, une toxicité sur la mitochondrie6. Pour certains d’entre eux, la didanosine ou ddI, la stavudine ou d4T, la zalcitabine ou ddC, cette toxicité peut, entre autres cibles, toucher le nerf périphérique sous la forme de neuropathies sensitivo-motrices. L’arrêt du médicament est le meilleur traitement de ces neuropathies (la régression sera toujours très lente), mais, dans certains cas, la supplémentation en L-carnitine peut s’avérer utile.   Conclusion   On l’a vu, même si l’efficacité des multithérapies antirétrovirales ne saurait être mise en doute, la pathologie opportuniste, y compris neurologique, reste d’actualité en 2004. De plus, le phénomène de la restauration immunitaire observé grâce à l’efficacité virologique des trithérapies a fait découvrir un nouveau cadre pathologique. En effet, à distance d’une infection traitée avec succès (CMV, tuberculose et cryptococcose par exemple), des manifestations pouvant faire craindre une rechute (signes méningés, atteinte parenchymateuse cérébrale, foyer rétinien) ont été décrites après une remontée importante du compte des lymphocytes T CD4, chez des sujets initialement très immunodéprimés. L’absence de signes en faveur d’une réactivation microbienne (par exemple la négativité des cultures) doit alors faire évoquer un syndrome de restauration immunitaire dû à la récupération fonctionnelle des effecteurs de la réponse immune spécifique et de l’inflammation, responsable de lésions purement inflammatoires, volontiers granulomateuses, en réponse à la persistance d’antigènes microbiens. Dans ces cas, un traitement par glucocorticoïdes est probablement efficace7. Par ailleurs, le vieillissement des populations de personnes infectées par le VIH, résultat très positif de l’introduction des trithérapies actives dans les pays développés, va indiscutablement avoir des conséquences sur la présentation neurologique de cette affection. D’une part, il existe une corrélation entre l’âge et la prévalence des troubles cognitifs chez les sujets infectés8. D’autre part, les désordres métaboliques (hyperlipidémie et insulinorésistance) induits par les traitements antirétroviraux (surtout les inhibiteurs de protéase) se traduit déjà par une augmentation de l’incidence des infarctus du myocarde et des accidents vasculaires cérébraux dans cette population qui progresse en âge9. Enfin, l’incidence des cancers à potentiel métastatique (poumon) semble également augmenter10. C’est donc bien le propre de l’infection à VIH que d’offrir une image sans cesse changeante et de placer le clinicien face à des interrogations toujours nouvelles en fonction de l’évolution de la thérapeutique et des caractéristiques des patients.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

Vidéo sur le même thème