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Infection, Inflammation

Publié le 01 juin 2019Lecture 8 min

Les variations épidémiologiques récentes des méningocoques dans la Ceinture africaine des méningites

Dominique GENDREL, Université Paris 5-Descartes, Paris

Les infections invasives à méningocoques sont endémiques dans tous les pays avec des micro-épidémies autour de cas sporadiques. Les vaccinations et l’antibioprophylaxie évitent qu’elles ne se répandent plus largement. La seule exception est la Ceinture africaine des méningites en pleine zone sahélienne(entre 4 et 16° de latitude Nord), qui est balayée annuellement en saison sèche par des épidémies de méningites à méningocoque A, avec tous les 3 à 5 ans un pic plus important, qui, avant que la vaccination ne se généralise, causaient des milliers de morts.

Le méningocoque se transmet par voie aérienne à partir de porteurs sains. Ceux-ci sont nombreux dans l’entourage des patients atteints, surtout en cas d’épidémie où une partie importante de la population, jusqu’à 25 %, peut héberger des méningocoques dans le rhinopharynx et être source de contagion. Ce sont les déplacements dans des zones proches ou lointaines de ces porteurs asymptomatiques qui répandent les souches, avec pour conséquence un risque épidémique. La transformation de l’épidémiologie des méningocoques dans la Ceinture africaine peut donc avoir des conséquences en zone sahélienne, mais aussi sur d’autres continents. Le point important est que la progression dans la zone sahélienne des infections à méningocoque W et la survenue récente d’une épidémie massive à méningocoque C impose pour les résidents africains et les voyageurs l’emploi du vaccin antiméningococcique quadrivalent conjugué. Les vaccins antiméningococciques polysaccharidiques et conjugués Les vaccins antiméningococciques les plus anciens étaient uniquement polysaccharidiques, constitués par les antigènes A, C, W et Y. Ils confèrent une protection individuelle satisfaisante mais agissent peu sur la colonisation pharyngée par les méningocoques et donc sur la transmission des bactéries par les porteurs asymptomatiques. Depuis 10 ans sont apparus des vaccins conjugués, dans lesquels les structures polysaccharidiques antigéniques A, C, W et Y sont liées à une protéine (par exemple : la toxine tétanique dans le MenAfriVacTM) pour augmenter l’antigénicité. Ces vaccins conjugués améliorent la protection individuelle mais surtout diminuent le portage pharyngé, donc la contagion. Quant au sérotype B, il a fallu recourir à un vaccin différent de type protéique, obtenu en utilisant des antigènes capsulaires recombinants. En effet, le polysaccharide B présente certaines structures antigéniques communes avec des tissus neurologiques et le risque d’effet secondaire en cas d’utilisation vaccinale était important. La Ceinture africaine des méningites La zone sahélienne africaine, située entre 4 et 16° de latitude Nord est parcourue tous les ans en pleine saison sèche par des épidémies de méningocoques A, avec un pic de plus grande ampleur tous les 3 à 5 ans. Ces épidémies ont été bien décrites dans les années 1960 par Léon Lapeysonnie (1915-2001), qui a montré que le portage pharyngé du méningocoque A, malgré les difficultés techniques de sa mise en évidence sur le terrain, était à l’origine des épidémies de méningites. Pendant la phase épidémique, 5 à 10 % (voire jusqu’à 30 %) des habitants peuvent héberger le méningocoque dans leur pharynx, surtout les adolescents et les jeunes adultes. Les premières campagnes de vaccination avec le vaccin polysaccharidique antiméningococcique A, ont été efficaces avec une mortalité en chute dans les zones bien vaccinées. Cependant, l’épidémie ne s’est pas interrompue car le vaccin agissait peu sur le portage pharyngé du méningocoque A et la transmission du germe, bien que réduite, pouvait continuer. Surtout le caractère cyclique des épidémies de grande ampleur, tous les 3 à 5 ans, persistait. Certaines ont été très graves : en 1996-1997 on aurait enregistré d’après l’OMS plus de 250 000 cas de méningites en Afrique subsaharienne avec 25 000 morts, le méningocoque A étant en cause dans plus de 85 % des cas. Devant une catastrophe de cette ampleur, les autorités publiques ont réclamé une politique vaccinale plus efficace que celle reposant sur le seul vaccin polysaccharidique antiménincocoque A. Les chiffres déclarés localement des cas de méningites suspectées mais non prouvées par les résultats de l’analyse du LCR sont considérables. Un article paru dans le Clinical Infectious Diseases signé par des membres de l’OMS et des spécialistes reconnus, rapporte 86 000 cas de méningites suspectées ou prouvées en 2009 dans 10 pays de la Ceinture, avec plus de 56 000 cas pour le seul Nigéria. Il est donc indispensable pour les analyses d’efficacité des vaccins de s’en tenir aux cas avec une identification bactérienne certaine. Les autres causes de méningites bactériennes de l’enfant restent évidemment présentes, les pneumocoques et les Haemophilus influenza b, réclamant une vaccination spécifique. Il faut aussi insister sur l’émergence, à partir de 2000, du méningocoque W135, rapporté par des pélerins de La Mecque, qui étaient à cette époque vaccinés par un polysaccharridique A + C. Cette souche s’est largement répandue en Afrique, mais aussi en Europe et sur le continent américain. Dans la Ceinture des méningites, l’augmentation des épidémies de W devient préoccupante. Le sérotype X est présent dans la Ceinture sahélienne, avec un nombre de cas non négligeable. La généralisation du MenAfriVacTM Le Projet vaccins méningite (MVP), incluant l’OMS et plusieurs ONG et financé par la Bill and Melinda Gates Foundation, a abouti à la mise au point, puis à la diffusion d’un vaccin conjugué anti-A très efficace. Le MenAfriVacTM, vaccin anti-A avec antigène polysaccharidique conjugué à des protéines (anatoxine tétanique), a été fabriqué par le Serum Institute of India. L’efficacité individuelle est supérieure en terme d’immunité à celle du vaccin polysaccharidique, mais surtout il supprime le portage pharyngé du germe et par là-même la contagion interindividuelle. Au Tchad, on a observé que le portage pharyngé du méningocoque A en période épidémique avait été divisé par 15 dans les 6 mois qui suivaient une seule injection de MenAfriVacTM entre 1 et 20 ans. Dès les premières campagnes, on a constaté une diminution rapide des épidémies en cours par absence de transmission de l’agent pathogène. L’OMS et les autorités sanitaires des pays concernés ont alors étendu à partir de 2012 la recommandation de vacciner largement par le Men-AfriVacTM, ce qui a entraîné une baisse spectaculaire des méningites à méningocoque A. D’une façon générale, on considère que le nombre total des méningites diagnostiquées cliniquement, donc tous germes confondus, a baissé de 60 %dans la Ceinture des méningites. Brutalement, est apparue entre février et juin 2015 au Niger et au Nigéria, dans des zones largement couvertes par le MenAfriVacTM, une épidémie importante de méningites à méningocoque C. On estime le nombre de cas dans ces deux pays à 11 000 en 4 mois, avec environ 800 décès. Plus de 1 600 LCR ont pu être analysés dans cette zone : tous ont mis en évidence un méningocoque C. Cette épidémie était d’autant plus impressionnante que entre 2010 et 2013, seulement 23 cas de méningites à méningocoque C avaient été enregistrés dans la région, avec cependant une alerte en 2014 dans la même région du Nigéria où une petite épidémie de méningocoque C a été enregistrée (tableau). Les analyses génomiques développées sous l’égide de l’OMS ont montré que le méningocoque C concerné appartenait à un clone totalement nouveau, qui n’avait jamais été observé en Afrique ni sur d’autres continents. Le caractère massif de l’épidémie laisse penser que ce nouveau clone est très probablement hyperinvasif. Il y a donc eu apparition d’un sérotype de remplacement au cours d’une vaccination dirigée uniquement contre la souche A. Alors qu’on pouvait s’attendre à l’émergence du sérotype W déjà présent, c’est une nouvelle souche de sérotype C qui est apparue en provoquant une épidémie majeure. Conséquences de l’épidémie sahélienne à méningocoque C Les infections à méningocoque C progressent localement et vont imposer de changer de stratégie vaccinale. Au début 2017, une épidémie limitée a été signalée dans cette région du Nigéria due à la même souche de méningocoque C. Le méningocoque C en cause appartient à un clone totalement nouveau, inconnu jusqu’à présent dans les populations de méningocoques analysées dans différents pays et continents, quel que soit le sérotype retrouvé. En effet, beaucoup de méningocoques cultivés depuis plus de 10 ans dans différentes parties du monde sont apparentées à un même complexe clonal hyperinvasif, ST-11. Les sérotypes polysaccharidiques, à l’intérieur même de ce clone, peuvent être différents : B, C ou W, car des « switch capsulaires » sont possibles au sein du même complexe clonal de méningocoques. Des souches de C, de W, voire de B isolées en Europe, en Afrique sahélienne, en Afrique du Sud ou sur le continent américain sont largement apparentées à ce clone ST11 bien connu, qui s’est répandu partout. Les analyses génomiques après l’épidémie de 2015 ont montré que le méningocoque C concerné appartenait à un clone totalement nouveau. Le caractère massif de l’épidémie de 2015 laisse penser que ce nouveau clone est très probablement hyperinvasif et qu’il peut se répandre dans les régions limitrophes, voire dans d’autres pays ou continents. La surveillance sérotypique et génomique des méningocoques devient indispensable partout dans le monde et le vaccin quadrivalent conjugué antiménigococcique va devoir se généraliser. Il n’est pas possible de fournir une explication claire à cette épidémie massive de méningocoque C dans une population largement vaccinée par un vaccin conjugué anti-A. Ce vaccin est fait pour éviter le portage pharyngé du A en assurant une protection individuelle, et il a parfaitement rempli son rôle. Mais, s’il s’agissait simplement d’une niche écologique dans des pharynx non protégés contre les autres méningocoques que le A, on pouvait s’attendre à une épidémie de W qui était largement présent dans la région, alors que les infections à méningocoque C ont été exceptionnelles dans les années précédentes. C’est dire que l’épidémiologie des maladies transmissibles reste encore mystérieuse. On réalise, avec les enseignements de l’analyse des souches invasives retrouvées depuis plus de 10 ans dans tous les pays et de la souche de méningocoque C de l’épidémie majeure de 2015 en Afrique sahélienne qu’on est contraint à une surveillance renforcée des infections invasives à méningocoques. Rechercher les sérotypes est bien évidemment indispensable à l’échelon régional pour déterminer la politique vaccinale d’un pays et des voyageurs. Mais les souches doivent également être collectées, conservées et transmises à des laboratoires de référence pour déterminer leur structure génétique et leur appartenance éventuelle à des clones invasifs. En conclusion Il apparaît que les recommandations concernant le vaccin contre le méningocoque en Afrique doivent évoluer. Les données récentes imposent de recommander le vaccin quadrivalent conjugué ACYW135 autant dans la Ceinture africaine des méningites que pour les voyageurs. Il en est probablement de même pour l’Afrique du Nord et l’Afrique centrale et pour l’Europe où le vaccin uniquement dirigé contre le méningocoque C ne suffira plus dans les années à venir. Il est d’autre part à craindre que le complexe clonal à l’origine de l’épidémie de 2015 en zone sahélienne ne gagne d’autre continents, avec une augmentation possible des ménigococcies invasives contraignant à une politique vaccinale adaptée. "Publié dans Pédiatrie Pratique"

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