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Neuropathie

Publié le 14 oct 2007Lecture 11 min

La lombalgie commune chronique comporte-t-elle une composante neuropathique ?

P. SICHÈRE, Paris
La lombalgie est le deuxième motif de consultation en médecine générale, et le premier des Centres d’évaluation et traitement de la douleur1. Mais près de 3 patients sur 4 se disent insatisfaits du traitement prescrit en cas de lombalgie chronique2. C’est dire l’intérêt que portent les praticiens aux publications récentes qui font état d’une possible composante neuropathique à la lombalgie chronique. Cette hypothèse, si elle se confirme, permettrait de compléter notre arsenal thérapeutique pour mieux soulager le patient. Nous allons donc tenter de répondre à cette question.
Définition de la lombalgie commune chronique Pour définir la lombalgie, des auteurs canadiens et français se sont réunis sous l’égide de la Paris Task Force en 19983. Ils ont distingué 4 catégories de lombalgies et de sciatiques. Les deux premières concernent donc la lombalgie : • catégorie 1 : lombalgies ou dorsolombalgies sans irradiation au-delà du fessier et en l’absence de signe neurologique ; • catégorie 2 : lombalgies avec irradiation aux membres inférieurs sans dépasser les genoux et sans signe neurologique.Quant à la définition de la lombalgie chronique, très proche de la précédente, proposée par la section rachis de la Société française de rhumatologie, elle est officiellement reconnue comme texte de loi. Elle désigne une « douleur lombosacrée à hauteur des crêtes iliaques ou plus bas, médiane ou latéralisée, avec possibilité d’irradiation ne dépassant pas le genou, mais avec une prédominance de la douleur lombosacrée pendant au moins trois mois, quasi quotidienne, sans tendance à l’amélioration » (4). La Québec Task Force préfère parler de lombalgie chronique à partir de 6 semaines d’évolution afin d’envisager une prise en charge plus précoce (5). La définition de la Société française de rhumatologie reste cependant la référence actuelle. Précisons que sont exclues de cette mise au point les lombalgies secondaires et la lombosciatique. Définition de la douleur neuropathique Depuis 1986, l’IASP (International Association for the Study of Pain) considère que pour parler de douleur neuropathique, il faut qu’il y ait lésion nerveuse périphérique ou centrale. Ainsi une douleur neuropathique périphérique peut-elle révéler une pathologie post-traumatique ou post-chirurgicale, être liée à une affection mécanique, inflammatoire ou infectieuse. Centrale, elle peut être due à un accident vasculaire cérébral, une lésion médullaire d’origine traumatique, tumorale ou encore infectieuse. En rhumatologie, on considère qu’a priori les douleurs neuropathiques relèvent de mécanismes périphériques. Cependant, du point de vue physiopathologique, cette distinction est sujette à caution. En effet, une lésion nerveuse même périphérique peut entraîner des perturbations nerveuses centrales (6), et ce d’autant que s’installe une douleur chronique. Dans tous les cas, il faut souligner l’intérêt de distinguer une douleur neuropathique d’une douleur de type inflammatoire puisque l’orientation thérapeutique sera différente. Distinction essentielle pour choisir un traitement d’autant plus efficace qu’il sera adapté à l’une ou l’autre des pathologies, même si souvent les deux mécanismes s’ajoutent ou se confondent. C’est dire l’importance de pouvoir reconnaître les signes cliniques qui orientent vers a composante neuropathique d’une douleur. Comme nous le verrons plus loin plusieurs auteurs ont proposé des critères susceptibles d’orienter le clinicien dans cette reconnaissance diagnostique. À titre de rappel, nous reproduisons ci-contre les critères français du questionnaire DN4 (7).   Rappels de l’anatomie et des mécanismes de la douleur lombaire Schématiquement, le rachis lombaire est constitué de l’empilement de 5 vertèbres reliées chacune entre elles par 3 articulations : les 2 articulaires postérieures et le complexe discovertébral. À cet ensemble correspondent 3 ligaments (ligaments jaunes, inter-épineux et supra-épineux) et à chaque articulaire ou facette, une capsule articulaire tapissée d’une membrane synoviale (figure). Figure. Rachis Lombaire L’innervation est assurée par une branche du rameau postérieur, qui donne des filets nerveux pour la capsule, les muscles, le revêtement cutané, et l’articulationicelle-ci devient douloureuse en faisant intervenir des mécanismes nociceptifs périphériques et centraux à l’origine notamment d’une baisse du seuil d’activation des nocicepteurs. La stimulation du neurone médullaire impliqué dans la nociception articulaire expliquerait les douleurs cutanées projetées, une hyperalgésie des muscles spinaux (7). En cas de conflit discoradiculaire, provoqué par exemple par une hernie discale, s’ajoutent des phénomènes inflammatoires avec sécrétions de médiateurs de l’inflammation, de cytokines comme le TNF α. Au contact de la racine, on constate une angiogenèse et une néo-innervation qui participent à la propagation de l’inflammation et à des mécanismes neuropathiques. Le conflit discoradiculaire est donc l’exemple type d’une douleur mixte puisque s’associent des processus d’ordre nociceptif, inflammatoire et neuropathique (8). Ces arthroses vertébrales, ces discopathies, associées ou non à des conflits disco-radiculaires ou discoostéo-radiculaires, si souvent retrouvées lors d’explorations par imagerie de la lombalgie commune chronique, sont- elles une explication aux mécanismes douloureux ? Le conflit disco-radiculaire est l’exemple type d’une douleur mixte inflammatoire et neuropathique. Quelle réponse apporte l’imagerie ? En effet, fort des mécanismes que nous venons de décrire, il serait tentant d’expliquer la lombalgie chronique commune à partir des images pathologiques si souvent rencontrées. Cependant, dans un article récent reprenant la littérature à ce sujet, Glowinski a une fois de plus montré que les images d’anomalies vertébrales, discales ou des articulaires postérieurs ne sont qu’une simple coïncidence (9). En matière d’imagerie, sont plus prometteurs les travaux en cours portant sur les images du cortex à partir de résonance magnétique nucléaire fonctionnelle. Ainsi T. Giesecke a-t-il comparé des témoins sains à des patients lombalgiques chroniques (10). Il retrouve chez ces derniers les mêmes perturbations que chez les patients fibromyalgiques à savoir une amplification des réponses à des stimulations douloureuses au niveau cortical. À notre connaissance, il n’existe pas de travail équivalent dans la littérature comparant lombalgie chronique et douleur neuropathique. Les facteurs de chronicité de la lombalgie Ces travaux de recherche sont encourageants, même si, toujours à propos de la lombalgie, pour certains : « Toute tentative de regroupement, par approche physiopathogénique, demeure vaine même si elle peut être utile à titre individuel » (11). Dès qu’elle devient chronique, la lombalgie est plurifactorielle. L’examen clinique révèle souvent un retentissement physique avec hyper-excitabilité et extension du champ Douleurd’innervation qui entraînent une diffusion de la douleur et la rendent plus atypique. La lombalgie chronique retentit également tôt ou tard sur la vie socioprofessionnelle, familiale, conjugale, sexuelle, psychologique, émotionnelle et comportementale du patient. Mais ces caractéristiques sont celles communes à toutes les douleurs chroniques (12). C’est dire l’importance de la prévention qui repose sur le dépistage de facteurs prédisposants à chronicité chez un patient lombalgique (13). • Sont retenus comme facteurs prédisposants : - l’âge supérieur à 45 ans ; - la richesse de l’expression fonctionnelle ; - les signes témoignant d’une anorganicité ; - la douleur du membre inférieur, une claudication intermittente ; - l’insatisfaction au travail, la dépression, l’hystérie, l’hypocondrie ; - la revendication médico-légale ; - une mauvaise forme physique. • Ne sont pas considérés comme des facteurs prédisposants à la chronicité : - la sévérité initiale des symptômes ; - la lésion anatomique. • Restent 3 facteurs sujets à controverse :   - le sexe ; - le facteur familial ; - les antécédents de lombalgies. La composante neuropathique dans la littérature Ces insuffisances dans l’interprétation des mécanismes de la lombalgie chronique stimulent actuellement la recherche à propos d’une possible composante neuropathique. Ainsi en 2003, Brisby a-t-il justement avancé l’hypothèse que des antécédents traumatiques lombaires léseraient les racines nerveuses et les ganglions rachidiens postérieurs contribuant ainsi à la chronicité de la lombalgie (14). La même année, Moscowitz publiait un article évoquant la modification des structures neuro-anatomiques à l’origine d’une transmission neuronale périphérique et centrale (15). Ces phénomènesde neuroplasticité ont été à nouveau repris et développés plus récemment par Brisby (16). À leur tour, Kati et al. ont étudié les résultats d’un questionnaire d’évaluation de la douleur neuropathique chez 1 169 patients souffrant de lombalgie chronique sur une période de 6,5 mois (17). Il s’agit d’un travail multicentrique utilisant le Leeds Assessment of Neuropathic Symptoms and Signs (LANSS) Pain Scale. Dans cette étude, 639 patients, soit 54,7 % de l’ensemble des sujets inclus, auraient une douleur de type neuropathique alors que 530, soit les 45,3 % restants, souffriraient d’une douleur nociceptive. Le symptôme le plus discriminant est la dysesthésie loin devant la douleur thermique. L’allodynie est retrouvée dans 41,1 % des cas. Cette composante neuropathique est plus souvent mise en évidence chez les femmes que chez les hommes pour lesquels la composante nociceptive est prédominante. La moyenne d’âge des patients se plaignant d’une douleur de type neuropathique est superposable à celle des patients souffrant d’une lombalgie chronique, soit 46,7 ans. Il ressort également de ce travail, que les patients de plus grande taille et de race blanche seraient plus souvent touchés par une douleur de type neuropathique, et ce d’autant plus qu’ils ont subi une intervention chirurgicale du rachis dans leurs antécédents. Les auteurs concluent par deux réflexions. Une première pour souligner l’intérêt de chercher une composante neuropathique à la lombalgie chronique afin de mieux adapter les traitements. La deuxième réflexion souligne l’intérêt de l’utilisation de l’échelle LANSS qui, pour les auteurs, est à la fois facile d’utilisation et un bon outil indicateur. Le symptôme le plus discriminant est la dysesthésie, loin devant la douleur thermique. Un autre article plus récent encore plaide en faveur de la composante neuropathique de la lombalgie chronique. Il s’agit d’une étude multicentrique effectuée en Allemagne à partir de 18 centres et publiée par Freynhagen et al. (2), dans laquelle sont interrogés à la fois les praticiens et les patients à partir d’un questionnaire d’évaluation de la douleur d’une part, et d’autre part du Hannover Functional Ability Questionnaire. À ces 2 questionnaires proposéssystématiquement, s’ajoute éventuellement, si les patients l’acceptent, le Health Questionnaire for Depression. L’analyse a porté sur 883 questionnaires de patients et 849 questionnaires de praticiens. L’âge moyen des patients était de 56 ans avec une EVA moyenne de 5 et des pics à 8/10. Certes, la douleur prédomine au rachis lombaire pour 87 % d’entre eux, mais pour 65 % de ces sujets, la douleur irradie à la jambe, et pour 40 % au pied. Les auteurs déduisent qu’il existe une composante neuropathique pour 33,5 % des patients. Si la grande majorité des personnes incluses dans ce travail n’a pas voulu répondre aux questionnaires « dépression » (75,2 %), on note que parmi ceux qui l’ont rempli, plus de la moitié s’avèrent dépressifs. Ces 2 publications sont encourageantes mais ne permettent cependant pas d’étayer de façon rigoureuse l’hypothèse selon laquelle il existe une composante neuropathique à toute lombalgie chronique. Si le questionnaire LANSS est bien spécifique, on peut lui reprocher quelques limites. Il donne une place importante aux troubles vasomoteurs et le fait que les questions soient trop ouvertes en limite la rigueur. Quant à l’article de Freynhagen, il mêle lombalgie et lombosciatique. Il ne permet donc pas de distinguer l’une de l’autre alors que, comme nous l’avons rappelé plus haut, la sciatique est bien aussi une douleur neuropathique, d’autant plus qu’elle est  chronique (18). Ces études sont observationnelles ou prospectives et l’absence de comparaison entre population de lombalgiques chroniques et population de douloureux chroniques ayant des douleurs neuropathiques en limite l’interprétation. Les arguments thérapeutiques Pour traiter les douleurs neuropathiques, le praticien utilise principalement les médicaments antidépresseurs, antiépileptiques, la neurostimulation transcutanée et médullaire. Dans son travail de synthèse, Rosenberg n’a pas trouvé d’élément démontrant l’utilité des antidépresseurs dans le traitement de la lombalgie19. Rappelons d’ailleurs qu’aucun d’entre eux n’a obtenu d’AMM dans le traitement de la lombalgie. Quant au traitement de la lombalgie par antiépileptiques, signalons aussi l’absence d’études à ce sujet. Et pour ce qui concerne la neurostimulation transcutanée, les rares travaux publiés n’ont pas non plus montré d’effet thérapeutique favorable. Les bénéfices de la stimulation médullaire sont plus encourageants. L’équipe de Blond et al. a en effet démontré que le traitement des lombosciatiques postopératoires par stimulation médullaire améliorent les lombalgies de 20 à 30 %. Ce qui correspond  à un bon résultat pour en moyenne 64 % de la population traitée, chiffre retrouvé dans la littérature (20).   Points forts   L’état actuel des connaissances à propos des mécanismes physiopathologiques de la lombalgie commune chronique est à l’évidence insuffisant.   Des mécanismes d’origines périphérique et centrale jouent un rôle dans la douleur certes, mais peuton déduire des travaux récents qu’une composante neuropathique participe aux autres composantes ? Nous avons vu que nous manquions encore de preuves, d’études rigoureuses. Cette carence ne justifie donc pas a priori la prescription de traitements antidépresseurs ou antiépileptiques pour traiter la lombalgie commune chronique.   Nous ne pouvons qu’encourager la publication d’études, comparant des populations de lombalgiques chroniques à d’autres pathologies, en utilisant notamment le questionnaire DN4, qui a bien montré sa sensibilité et sa spécificité7. Alors nous pourrons mieux adapter nos traitements dans cette indication.

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