publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Accident vasculaire cérébral

Publié le 01 avr 2019Lecture 12 min

De petites artères, mais un grand enjeu de santé publique

Éric JOUVENT, Service de neurologie, CHU Lariboisière, Paris

CADASIL est une maladie génétique des petites artères cérébrales à l’origine d’AVC parfois multiples. Le point sur une pathologie à laquelle il importe de penser devant certains tableaux cliniques.

Les AVC représentent une cause majeure de handicap et de troubles cognitifs dans les pays industrialisés(1). Ils peuvent être liés à la diminution sous un seuil critique de l’apport en oxygène (AVC ischémique) ou être secondaires à la rupture d’un vaisseau (AVC hémorragique). Parmi les AVC ischémiques, on distingue ceux en rapport avec l’atteinte des gros vaisseaux cérébraux (les artères du polygone de Willis et leurs branches de division) et ceux liés à l’atteinte de la microvascularisation (les branches secondaires ou tertiaires d’un diamètre de moins de 500 microns environ) (figure 1). Les atteintes de ces 2 types de vaisseaux ont des mécanismes différents. Les gros vaisseaux sont en règle générale le siège d’emboles provenant des vaisseaux du cou ou du cœur. Ils peuvent aussi être atteints par une forme particulière d’athérome, qui peut prédominer en intracrânien. En revanche, si les petits vaisseaux peuvent aussi être le siège d’emboles issus de la circulation d’amont ou du cœur, ils sont la plupart du temps atteints par des mécanismes in situ(2). Le spectre clinicoradiologique secondaire à l’atteinte de cette microvascularisation définit les maladies des petites artères cérébrales. Figure 1. Maladies des petites artères cérébrales et AVC ischémiques.  a : la vascularisation cérébrale est constituée schématiquement de 2 types d’artères représentés sur le schéma d’une coupe coronale de cerveau avec en b, l’aspect IRM de la coupe correspondante en séquence T1). Les vaisseaux du polygone de Willis et les artères leptoméningées sont de gros calibre d’un demi à plusieurs millimètres, en rouge foncé). L’occlusion d’une de ces artères provoque souvent des lésions ischémiques très étendues. De plus petites branches, les artères perforantes, naissent de ces gros troncs et vont vasculariser les structures profondes du cerveau. L’atteinte d’une de ces artères donne typiquement un petit infarctus « sous-cortical ». Le panel c représente 2 coupes axiales d’IRM en séquence de diffusion ontrant respectivement un petit infarctus thalamique récent lié à l’atteinte d’une perforante dans le cadre d’une maladie des petites artères cérébrales et un infarctus très étendu en rapport avec une occlusion de l’artère cérébrale moyenne d’origine cardio-embolique. Les maladies des petites artères cérébrales se traduisent en IRM par l’association à des degrés divers (figure 2) : •  d’hypersignaux de la substance blanche visibles en séquence Flair, témoignant vraisemblablement d’une hypoperfusion chronique. Ils sont présents chez 95 % des sujets en population générale après 65 ans, et sont confluents dans 5 % des cas(3) ; •  de lacunes mieux identifiables sur les séquences 3DT1 et qui correspondent à l’évolution naturelle des lésions ischémiques révélées ou non par des AVC. Environ 25 % des sujets de plus de 65 ans en population générale ont au moins une lacune(4) ; •  de microsaignements visibles uniquement en séquence T2* et qui représentent des ruptures focales de la barrière hématoencéphalique(5). Figure 2.  Marqueurs IRM des maladies des petites artères cérébrales. Les principaux marqueurs IRM de maladies des petites artères cérébrales sont llustrés par des formes de sévérité croissante. À gauche, 3 séquences (Flair, 3DT1 et T2* de haut en bas) normales pour comparaison. En haut, l’étendue des hypersignaux peut être très variable, de quelques zones nodulaires aux formes très étendues et confluentes. Au milieu, sur la séquence 3DT1, on note un nombre croissant de lacunes (flèches), tandis que la substance blanche devient de plus en plus sombre alors que la maladie évolue. En bas, sur la séquence T2*, le nombre de microsaignements peut aller d’un seul à plusieurs dizaines comme sur la dernière coupe passant par le cervelet. Sur le plan clinique, les maladies des petites artères cérébrales liées à l’âge et à l’hypertension artérielle sont à l’origine d’un AVC sur cinq et représentent la deuxième cause de troubles cognitifs après la maladie d’Alzheimer(6). A côté de ces formes sévères, il existe des formes paucisymptomatiques, beaucoup plus fréquentes, pouvant être uniquement à l’origine de troubles de la marche ou de problèmes de concentration. Il est d’autant plus important de sensibiliser l’ensemble du corps médical qu’il est démontré qu’une prise en charge adaptée des facteurs de risque cardiovasculaire modifiables ralentit l’évolution de ces affections. Un contrôle absolu de la pression artérielle permet de réduire l’évolution radiologique(7), et préviendrait le risque de survenue d’un AVC, le développement d’une démence ou l’apparition d’un handicap(6). L’angiopathie amyloïde cérébrale, dont les liens avec la maladie d’Alzheimer sont complexes, est la deuxième cause de maladie des petites artères cérébrales(8). Elle se manifeste surtout par des AVC hémorragiques. Très loin derrière ces 2 formes fréquentes qui touchent des centaines de milliers de patients en France, il existe d’autres formes beaucoup plus rares, acquises ou génétiques. C’est le cas de CADASIL, une affection monogénique, autosomique dominante liée à des mutations du gène NOTCH3(9) qui est l’objet de cette mise au point. CADASIL C’est en prenant en charge en 1976 un patient jeune atteint d’une forme sévère de maladie des petites artères cérébrales, mais sans antécédent d’hypertension artérielle que le Pr Marie-Germaine Bousser à identifié chez lui des antécédents familiaux similaires au sein d’une très grande famille. Après une enquête extrêmement minitieuse, le mode de transmission de l’affection a finalement pu être déterminé : monogénique, autosomique et dominant. Le gène NOTCH3, dont les mutations conduisent à la maladie, a été identifié en 1996 par les équipes du Pr Bousser et du Pr Tournier-Lasserve à Lariboisière(10). L’acronyme CADASIL a été choisi pour illustrer les différentes caractéristiques de la maladie (Cerebral Autosomal Dominant Arteriopathy with Subcortical Infarcts and Leukoencephalopathy). Les auteurs ayant choisi cet acronyme n’ont, à l’époque, pas remarqué la potentielle ambiguïté de sa prononciation en Français, au contraire de certaines familles. Quoi qu’il en soit, l’acronyme choisi est maintenant communément admis. Physiopathologie Si la physiopathologie de CADASIL est différente des formes liées à l’âge et à l’hypertension, les conséquences de l’atteinte des petites artères cérébrales sont similaires : les cellules musculaires lisses dégénèrent, laissant la place à un tissu fibro-hyalin dénué de capacités contractiles. Les lésions d’origine vasculaires s’accumulent dans les régions profondes du cerveau. Ces lésions vasculaires ont une traduction clinique similaire aux formes liées à l’âge et à l’hypertension : elles peuvent être révélées de manière aiguë par des AVC ou s’accumuler progressivement, conduisant à l’apparition d’un handicap et de troubles cognitifs(9). Dans CADASIL, l’atteinte est en général plus précoce et plus sévère que dans les formes liées à l’âge et à l’hypertension artérielle. Ainsi, les AVC peuvent survenir dès la 3e décennie et certains patients peuvent être lourdement handicapés ou présenter une démence avant 50 ans(9). La fréquence exacte de CADASIL n’est pas connue, mais cette affection concerne au minimum plusieurs centaines de familles en France, ce qui en fait une des maladies neurologiques monogéniques les plus fréquentes. La plupart des patients atteints de CADASIL en France sont suivis dans le centre de référence pour les maladies vasculaires rares du cerveau et de l’œil (site CERVCO) à l’hôpital Lariboisière (Paris). Actuellement, plus de 250 patients sont inclus dans notre étude de suivi. Les cohortes à la fin des années 1990, notamment en France, ont permis de mieux comprendre le spectre clinique et radiologique de la maladie. Spectre clinique Migraine Le premier symptôme de CADASIL est la survenue de crises de migraine avec aura. Si la migraine sans aura ne semble pas plus fréquente dans CADASIL que dans la population générale, la fréquence de la migraine avec aura serait 4 à 5 fois plus élevée dans CADASIL, touchant 20 à 40 % des patients(9). La plupart du temps, les crises de migraine avec aura sont typiques, avec une marche migraineuse débutant par des signes visuels avec un scotome scintillant s’étendant progressivement sur une vingtaine de minutes, suivi éventuellement de troubles sensitifs et parfois de troubles phasiques. En revanche, jusqu’à 50 % des patients auraient aussi des crises plus atypiques. Certaines peuvent être extrêmement sévères, se manifestant par une confusion, voire un coma(9).  AVC Environ deux tiers des patients présenteront un AVC ischémique au cours de l’évolution de leur maladie, parfois avant 40 ans(9). La plupart d’entre eux aura au moins une récidive. Certains patients de notre cohorte ont présenté au cours de l’évolution de leur maladie jusqu’à une dizaine d’AVC. Les AVC sont en rapport avec des petits infarctus profonds survenant dans des régions neurologiquement éloquentes (motrices et sensitives essentiellement). La plupart du temps ces AVC surviennent en l’absence d’hypertension artérielle, mais les patients atteints de CADASIL sont par ailleurs exposés aux autres causes d’AVC ischémiques qui peuvent exceptionnellement coexister chez le même sujet(11). Contrairement aux AVC ischémiques, les AVC hémorragiques sont exceptionnels dans CADASIL, en particulier en Europe(12). Le nombre d’AVC ne semble pas être un marqueur pronostique du handicap. Le volume total de lacunes, correspondant à l’ensemble des lésions ischémiques ayant conduit ou non à un AVC, semble jouer un rôle plus important(9). Handicap moteur Le handicap dans CADASIL est hautement variable. Certains patients deviennent grabataires avant 50 ans alors que d’autres sont parfaitement indemnes de tout handicap après 70, voire 80 ans(9). Une de nos patientes, âgée de plus de 70 ans et volontaire pour participer à une étude IRM réalisée en banlieue parisienne, a parcouru les 5 km qui la séparaient du centre de recherche en faisant son jogging. Les hommes sembleraient développer un handicap plus sévère que les femmes(13).  Troubles cognitifs Les patients atteints de CADASIL peuvent présenter des troubles cognitifs de sévérité variable. Environ un tiers des patients seraient déments après 60 ans(9), mais d’autres, y compris après 60 ans, peuvent être totalement asymptomatiques. Les plaintes les plus fréquentes au début de la maladie sont un ralentissement psychomoteur, une fatigabilité et des troubles de l’attention. Parfois, les patients se plaignent d’être moins performant dans leur travail mais les tests neuropsychologiques habituels restent normaux. Le temps de réaction mesuré par ordinateur pourrait dans ce cas être un bon marqueur de ces troubles cognitifs subtils(14). Cette plainte peut rester longtemps isolée, les bilans répétés par des outils élaborés ne montrant pas d’autre signe déficitaire. Au-delà, un syndrome dysexécutif, gênant la planification de tâches et la flexibilité mentale, s’installe. Ces troubles cognitifs peuvent aller jusqu’au stade de démence. Les troubles cognitifs observés dans CADASIL sont similaires à ceux observés dans les maladies des petites artères cérébrales liées à l’âge et à l’hypertension artérielle(15). Les signes d’atteinte corticale observés dans la maladie d’Alzheimer comme l’aphasie, l’agnosie et l’apraxie sont très rares et tardifs(16). Les troubles mnésiques sont fréquents et peuvent être aussi sévères que dans la maladie d’Alzheimer(17). Les troubles cognitifs présentés par les patients sont principalement en rapport avec les lacunes et l’atrophie cérébrale(18). L’impact des hypersignaux de la substance blanche, lorsqu’ils sont isolés, semble limité et lorsqu’ils ne sont pas associés à des lacunes, ils n’entraînent pas de démence(19). Troubles psychiatriques et troubles du comportement Comme dans de nombreuses pathologies de la substance blanche(20), les manifestations psychiatriques semblent fréquentes dans CADASIL. Environ 20 % des patients présentent des épisodes dépressifs, parfois à répétition, s’intégrant alors dans le cadre d’une maladie bipolaire. Il est cependant très difficile de faire la part des choses entre le poids d’un lien physiopathologique et l’impact psychologique du diagnostic de maladie neurologique chronique, potentiellement sévère et sans traitement, chez des patients qui ont parfois vu leurs parents mourir de la maladie(9). Sur le plan comportemental, l’apathie est la manifestation la plus fréquente, touchant jusqu’à 40 % des patients, en particulier les hommes(9). Elle est souvent considérée par l’entourage comme l’un des symptômes les plus gênants.  Autres manifestations plus rares Les crises d’épilepsie concernent 5 à 10 % des patients, et sont probablement en rapport avec des lésions corticales de très petite taille non visibles en IRM conventionnelle(9). De nombreux autres symptômes neurologiques ont été rapportés, mais il n’est pas possible de déterminer s’ils sont liés à la maladie ou associés chez un même malade : c’est le cas de syndromes parkinsoniens ou de surdités brusques(9). En revanche, CADASIL est une maladie dont l’expression est strictement limitée au système nerveux central(9). Prise en charge diagnostique et thérapeutique Actuellement, le diagnostic de CADASIL repose sur la mise en évidence d’une mutation du gène NOTCH3. Dans certains cas où la suspicion diagnostique est forte mais la recherche de mutation négative, une biopsie cutanée peut être réalisée à la recherche de dépôts spécifiques, appelés GOM (granular osmiophic material). Face à une IRM montrant des stigmates de maladie des petites artères cérébrales, certains signes sont très évocateurs de CADASIL plus que d’une forme liée à l’âge et à l’hypertension artérielle (figure 3). En dépit de la fréquence de la migraine avec aura dans CADASIL, ce diagnostic ne doit pas être évoqué face à ce symptôme s’il est isolé, compte tenu de la fréquence de la migraine avec aura en population générale (de 5 à 10 %). En cas d’AVC ischémique en rapport avec une lésions sous-corticale de petite taille, le diagnostic de CADASIL doit être évoqué chez un sujet jeune, a fortiori s’il n’a pas d’antécédent d’hypertension artérielle et s’il a d’autres stigmates d’atteinte des petites artères cérébrales sur l’IRM. La présence d’antécédents familiaux d’AVC et ou de démence doivent conforter la recherche d’une mutation. Chez les sujets présentant des troubles cognitifs ou un handicap en rapport avec une maladie des petites artères cérébrales évoluée, la présence d’antécédents familiaux d’AVC et ou de démence, en particulier vasculaire, doivent faire rechercher une mutation. La recherche d’une mutation doit être en revanche très précautionneuse devant des formes asymptomatiques (chez les apparentés de malades) ou dans les formes pauci-symptomatiques (plainte aspécifique comme un vertige, par exemple) ayant conduit à la réalisation d’une IRM qui montre des signes de maladie des petites artères cérébrales chez un sujet jeune, parfois non hypertendu. En l’absence de traitement modifiant l’histoire naturelle de la maladie, des facteurs éthiques et psychologiques doivent alors être absolument pris en compte, idéalement dans le contexte d’une consultation multidisciplinaire(21). L’annonce d’une mutation ne doit se faire que chez un patient accompagné d’un proche. Il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement spécifique ayant démontré une efficacité dans CADASIL. La prise en charge des patients est donc calquée sur les thérapeutiques utilisées dans les formes sporadiques. Après un AVC ischémique, un antiagrégant est prescrit en prévention secondaire. La prescription d’un antihypertenseur et d’une statine, quasiment systématique après un AVC ischémique non cardioembolique indépendamment du niveau de pression artérielle et du cholestérol, se fait au cas par cas compte tenu de la physiopathologie de CADASIL. Concernant la migraine, nous n’utilisons pas les triptans ni les dérivés ergotés en raison de leurs propriétés vasoconstrictrices, mais les habituels traitements de fond. Figure 3. Maladies des petites artères cérébrales : différences en IRM cérébrale entre les formes sporadiques liées à l’âge et à l’hypertension et CADASIL. Sont présentées 4 coupes axiales de 2 patients de sévérité radiologique équivalente, montrant les différences entre l’aspect IRM de CADASIL et des formes sporadiques. Dans CADASIL, les hypersignaux de la substance blanche touchent fréquemment les pôles antérieurs des lobes temporaux, les capsules externes et le gyrus frontal supérieur (de gauche à droite, flèches), des localisations en règle générale indemnes d’hypersignaux dans les formes sporadiques. L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt en rapport avec cet article. "Publié dans Cardiologie Pratique"

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

Vidéo sur le même thème