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Thérapeutique

Publié le 17 mai 2007Lecture 10 min

Quand faut-il interrompre un traitement antiagrégant plaquettaire ?

J.-P. ÉMERIAU, CHU de Bordeaux
La question de l’arrêt des antiagrégants plaquettaires se pose notamment en contexte préopératoire. Faut-il les arrêter au prix d’un risque accru de thrombose artérielle ? Faut-il les maintenir au prix d’un risque hémorragique augmenté ?
  Les antiagrégants plaquettaires (AAP) sont largement utilisés chez les personnes âgées. Dans l’étude des 3 Cités (9 294 personnes âgées de 65 ans vivant à domicile dont 3875 âgées de 75 ans et plus), 25,5 % des personnes âgées de 75-79 ans et 28,6 % des 80 ans et plus reçoivent un AAP, sous forme d’aspirine 3 fois sur 4. Une fois sur deux, l’indication de l’AAP n’a pas pu être précisée. Pourtant ces traitements ne sont pas exempts d’effets secondaires et peuvent en particulier favoriser la survenue d’hémorragies graves à l’occasion d’un traumatisme. Que faire en cas de risque hémorragique prévisible ? Arrêter mais risquer un accident thrombotique ? En cas de risque hémorragique prévisible (intervention chirurgicale, endoscopie, etc.), l’arrêt du traitement par AAP paraît correspondre à une décision logique. Mais dans ce cas, le risque thromboembolique qui a justifié la mise sous traitement peut resurgir de manière rapide et importante. À l’arrêt de l’AAP, la fonction plaquettaire est restaurée en 8 à 10 jours. Mais à ce moment-là, la plupart des études retrouvent une augmentation du risque de syndrome coronarien aigu, d’accident vasculaire cérébral et d’aggravation d’une claudication d’origine ischémique. Le risque réel n’a cependant jamais été évalué dans la mesure où, sur un plan éthique, seules des études rétrospectives sont envisageables. À titre d’exemple, dans une étude rétrospective cas-témoin concernant 618 malades, le risque de récidive d’un accident ischémique cérébral est 3,5 fois plus important chez ceux qui ont interrompu un traitement par aspirine(1). Maintenir mais risquer un accident hémorragique ? Le risque d’accident ischémique est à opposer au risque hémorragique secondaire au maintien de l’AAP. Le risque de saignement est très diversement évalué, que ce soit en termes de fréquence ou de gravité. Il est associé à divers facteurs comme une inflammation locale, une infection préexistante, l’expérience du chirurgien, etc. Dans ce contexte, Il est également important de rechercher une interaction médicamenteuse potentiellement hémorragique (association de deux AAP, d’un AAP avec un anticoagulant ou un AINS). Les examens biologiques ne sont pas d’un grand secours. La valeur prédictive positive ou négative du temps de saignement est faible en tant qu’examen de dépistage du risque hémorragique per- et postopératoire des malades sous AAP. ACCIDENTS APRES ARRET   Infarctus du myocarde Chez des malades hospitalisés en soins intensifs pour infarctus, 5 % avaient arrêté l’aspirine en moyenne 10 ± 1,9 j avant l’accident et pour 13 % il s’agissait d’une récidive. 60 % des arrêts étaient intervenus dans un contexte pré-opératoire, 40 % par défaut d’observance du traitement(2,3).   Accidents vasculaires cérébraux après arrêt des AAP 4,5 % des AVC sont secondaires à un arrêt des AAP, ces accidents survenant entre le 6e et le 10e après l’arrêt du traitement(4).   Ischémie aiguë des membres inférieurs Dans une série de 181 cas, 11 malades avaient interrompu leur traitement par AAP  8 à 10 jours avant l’accident(5). Quand envisager l’arrêt  d’un traitement antiagrégant ? L’arrêt du traitement par des AAP peut se discuter dans différentes circonstances. Absence d’indication précise et risque élevé de saignement L’absence d’indication précise des AAP chez un malade âgé ayant par ailleurs un risque important de saignement est une situation fréquente. Un bon exemple est celui des personnes âgées qui ont une détérioration des fonctions cognitives et qui font des chutes à répétition. Faut-il encore que le prescripteur des AAP soit celui qui discute leur arrêt ! Bien souvent, l’indication du traitement n’est pas retrouvée. Il est alors bien difficile de déterminer si le risque hémorragique associé à la poursuite du traitement n’est pas en fait supérieur au risque embolique. Indication indiscutable et risque de saignement L’indication des AAP est indiscutable, mais une complication hémorragique est prévisible, en raison d’une intervention chirurgicale par exemple. Aucune des recommandations publiées ne concerne les personnes âgées. Dans ces conditions, faute de travaux et de résultats spécifiques pour ces malades qui sont caractérisés par une polypathologie et une polymédication, il est nécessaire de suivre les recommandations des sociétés savantes concernant des situations cliniques diverses. Mais il n’en reste pas moins que, pour chacun de ces malades âgés, le risque d’accident thromboembolique doit être opposé au risque hémorragique de l’intervention ou du geste envisagé.   Trois situations cliniques à risque Infarctus du myocarde Chez des malades hospitalisés en soins intensifs pour infarctus, 5 % avaient arrêté l’aspirine en moyenne 10 ± 1,9 j avant l’accident et pour 13 % il s’agissait d’une récidive. 60 % des arrêts étaient intervenus dans un contexte préopératoire, 40 % par défaut d’observance du traitement (2,3). Accidents vasculaires cérébraux après arrêt des AAP Environ 4,5 % des AVC sont secondaires à un arrêt des AAP, ces accidents survenant entre le 6e et le 10e jour après l’arrêt du traitement (4). Ischémie aiguë des membres inférieurs Dans une série de 181 cas, 11 malades avaient interrompu leur traitement par AAP 8 à 10 jours avant l’accident (5). Existe-t-il une solution alternative au traitement en cours ? Aspirine remplacée Un protocole a été proposé avec le flurbiprophène (Cébutid®). L’aspirine est arrêtée 8 à 10 jours avant l’intervention et remplacée par du flurbiprophène à raison de 50 mg 2 fois par jour. La prise précédant l’intervention est sautée et l’aspirine est reprise le plus tôt possible en postopératoire. En cas de risque thrombotique majeur, c’est-à-dire lorsque le risque de complication est considéré comme très élevé, cette procédure ne doit pas être suivie. Dans une série de syndromes coronariens aigus, cette procédure de substitution n’a pas modifié le risque relatif de décès qui est de l’ordre de 2 (6). Aspirine arrêtée mais non remplacée Le plus souvent, il est proposé d’arrêter l’aspirine 5 jours avant l’intervention, ce qui correspond à un temps nécessaire pour que la fonction plaquettaire soit reconstituée à moitié. Comme pour la procédure précédente, ce protocole n’a pas fait l’objet d’une évaluation particulière bien qu’il soit souvent utilisé ! En cas d’arrêt plus long, nous disposons de résultats significatifs. L’analyse de 138 articles a permis de comparer deux stratégies selon que l’aspirine était arrêtée 15 jours avant l’intervention ou maintenue à la même posologie. La mortalité est significativement augmentée après l’arrêt de l’aspirine (2,78 contre 2,05 %) et les complications hémorragiques sont légèrement plus fréquentes (2,46 % sous aspirine) (7). Alors que faire ? Tous ces résultats démontrent bien que dans toute la mesure du possible, le traitement antiagrégant ne doit pas être arrêté ! Mais quel est le prix à payer en matière de saignement ? Ce risque est mal évalué aussi bien en termes de fréquence que de gravité. Les données biologiques ne sont pas d’un grand secours. L’exploration de la fonction plaquettaire n’est pas réalisée en routine. En pratique, le seul test utilisable serait le temps de saignement. Quand le temps est supérieur à 20 minutes, le risque de saignement doit être considéré comme important. Pour autant, ce test n’est pas recommandé par la plupart des auteurs. En définitive, quelle attitude doit être conseillée ? Le maintien ou l’arrêt des AAP ? La décision repose sur l’appréciation du rapport entre bénéfice et risque qui doit tenir compte d’un côté du risque cardiovasculaire qui est identifié et de l’autre du bénéfice de l’acte qui est envisagé. Que disent les sociétés savantes ? Des recommandations ont été proposées par différentes sociétés savantes dans les domaines suivants. Endoprothèses coronaires Un groupe d’experts français a publié des recommandations (8). L’arrêt des AAP est un facteur de risque majeur de thrombose pour toutes les endoprothèses coronaires (EC), en particulier de thrombose tardive pour les EC pharmaco-actives. Sont considérés à très haut risque de thrombose les malades porteurs d’EC pharmaco-actives qui ont interrompu les AAP dans les 6 à 12 mois après la pose de l’EC, qui ont un antécédent de thrombose de stent, en cas de stents multiples ou de grande longueur, les malades tritronculaires non complètement revascularisés, ceux qui ont récidivé sous traitement et enfin les diabétiques et les malades ayant une fraction d’éjection basse. La conduite à tenir est résumée dans le tableau ci-dessus. Endoscopies digestives Les endoscopies digestives hautes ou basses sans biopsie sont considérées comme étant à faible risque et peuvent être réalisées sous AAP. En revanche, si les résections de polypes sont possibles, des gestes comme les sphinctérotomies et les gastrostomies percutanées sont considérées comme étant à haut risque et déconseillées. Endoscopies bronchiques Aucune recommandation précise n’a été publiée. La référence est une étude comparative concernant les biopsies transbronchiques. Les résultats n’ont pas établi de différence concernant un risque hémorragique sévère sous aspirine par rapport à celui qui a été observé dans un groupe placebo. Biopsies de prostate L’arrêt des AAP est généralement recommandé. Mais dans une étude anglaise, l’aspirine a été maintenue. Les résultats observés ont été comparés à ceux de patients opérés qui ne recevaient pas d’AAP. Aucune différence n’a été observée entre les deux groupes en matière de saignement (ASA 56 %, contrôle 59 %). Chirurgie de la cataracte Une étude multicentrique portant sur près de 20 000 interventions n’a pas montré d’augmentation du risque hémorragique sous aspirine. Odontostomatologie Le bénéfice escompté par l’arrêt des AAP semble mineur en regard de la gravité du risque thromboembolique encouru. Les recommandations de la Société sont précises : l’arrêt d’un traitement par AAP avant des soins dentaires n’est pas justifié (accord professionnel) et, avant une intervention de chirurgie buccale, parodontale ou implantaire, l’arrêt de l’aspirine à faible dose (recommandation de grade B) ou par clopidogrel (accord professionnel) n’est pas justifié. Chirurgie cutanée En l’absence de complication sévère prévisible, il est possible de poursuivre le traitement antiagrégant. Conclusion Chez les personnes âgées, les AAP sont très largement et certainement trop largement prescrits bien que les indications de ce traitement soient bien codifiées en matière de maladie coronaire et de complications ischémiques cérébrales ou vasculaires périphériques. En cas de risque prévisible de saignement grave, l’arrêt des AAP doit faire l’objet d’une réflexion approfondie pour en évaluer les conséquences en  opposant le risque thromboembolique au risque de saignement associé à leur maintien. Pour une personne âgée, ces deux alternatives, saigner ou thromboser, sont tout autant catastrophiques. 

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