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Epilepsie

Publié le 20 fév 2007Lecture 9 min

Les pseudo-crises d'épilepsie

Karl MONDON, Service de Neurologie et de Neurophysiologie clinique, Centre Mémoire de Ressource et de Recherche, CHRU de Tours
La distinction entre les authentiques crises épileptiques et les autres crises survenant dans d’autres cadres nosographiques, en particulier avec les crises d’origine psychiatrique, est souvent difficile. Elle repose essentiellement sur l’interrogatoire mais aussi sur la vidéo EEG, qui reste ici l’exploration complémentaire de choix. Le diagnostic de pseudo-crises d’épilepsie d’origine psychogène impose une prise en charge multidisciplinaire par le neurologue et le psychiatre, en accord avec le patient.
Au sens phénoménologique du terme, une crise se définit comme une manifestation comportementale de début et de fin brutaux. Fréquente en pratique clinique courante, la crise renvoie habituellement à quatre cadres étiologiques distincts : 1) les crises d’origine neurologique, épileptique ou non (accès confusionnel, accident vasculaire cérébral) ; 2) les crises d’origine métabolique (hypoglycémie) ; 3) les crises d’origine cardiaque (lipothymies et syncopes) ; 4) les crises d’origine psychiatrique. La distinction entre les authentiques crises épileptiques et les autres cadres nosographiques, en particulier avec les crises d’origine psychiatrique, est souvent difficile. L’objet de cet article concerne les crises d’origine psychiatrique d’allure épileptique. Ces manifestations sont dénommées dans la littérature sous un grand nombre de termes utilisés indifféremment : crises pseudo-épileptiques, crises psychogènes, crises hystériques, attaques non épileptiques, crises fonctionnelles, d’hystéro-épilepsie, crises non épileptiques, événements non épileptiques… Dans la suite de cet article, nous les dénommerons « pseudo-crises d’épilepsie » (PCE). Une prévalence difficile à estimer Les PCE peuvent se définir comme des manifestations comportementales de début et de fin brutaux, qui ressemblent à des crises d’épilepsie mais qui ne s’accompagnent pas du concomitant électrophysiologique habituellement observé lors d’authentiques crises d’épilepsie.  La prévalence des PCE est difficile à estimer. D’une part, parce que le diagnostic de certitude est ardu, et d’autre part, parce que la prévalence varie en fonction des populations étudiées (population générale, patients épileptiques, patients ambulatoires ou hospitalisés, parmi les patients hospitalisés ceux suivis dans les centres hospitaliers généraux versus ceux suivis dans des centres d’épileptologie, etc.). Il est probable que cette prévalence se situe entre 10 et 20 % des patients suivis dans les centres d’épileptologie. Les données de l’interrogatoire essentielles au diagnostic clinique Le plus souvent, la démarche diagnostique repose sur l’interrogatoire rétrospectif (donc imprécis) du patient et de son entourage. Comme habituellement, l’anamnèse s’attachera à reconstituer méticuleusement le déroulement de la crise : prodromes, signes cliniques per-critiques, altération de la conscience (complète ou non), durée de la crise (souvent majorée par les témoins), constatation d’une confusion postcritique, morsure de langue, perte d’urines, etc. Par définition, les PCE ressemblent à d’authentiques crises épileptiques. Ainsi, tous les signes cliniques d’une crise épileptique peuvent s’observer lors des PCE. On estime cependant qu’une durée de crise anormalement longue, un caractère peu stéréotypé des malaises lorsqu’ils se répètent, l’existence de mouvements de grande amplitude et asynchrones, des vocalisations atypiques, des mouvements de la tête de droite à gauche et des soubresauts du bassin sont plutôt en faveur de PCE1. Les crises d’expression purement catatoniques sont également très évocatrices de PCE2. Les PCE s’observent dans 2 cas sur 3 chez les femmes3.   La reconnaissance des PCE est d’autant plus difficile que celles-ci surviennent fréquemment chez des patients qui présentent une authentique maladie épileptique. Ainsi, selon les populations étudiées, on estime que 10 à plus de 90 % des patients épileptiques présentent des PCE. Dans notre expérience, 2/3 des patients associent les deux types de manifestations3.   Diagnostic paraclinique : la vidéo EEG est l’exploration-clé Devant tout malaise atypique, et en cas de doute clinique, la démarche diagnostique pourra être appuyée par la réalisation d’un électrocardiogramme et/ ou d’un enregistrement holter-ECG à la recherche de troubles du rythme ou de la conduction cardiaque, ainsi que d’un bilan biologique standard. L’électroencéphalogramme standard est une aide utile quand il permet d’enregistrer des anomalies intercritiques. Cependant, soulignons : - qu’un EEG intercritique normal n’exclut pas que le malaise soit d’origine épileptique ; - que la mise en évidence d’anomalies paroxystiques intercritiques ne signe pas une maladie épileptique dans la mesure où de telles anomalies peuvent s’observer dans la population normale ; - et que près de 25 % des patients présentant des PCE isolées ont des anomalies paroxystiques suspectes d’être d’origine épileptique sur les EEG intercritiques. La vidéo-EEG, en permettant l’enregistrement simultané et synchronisé du comportement d’un sujet et de son EEG, est l’examen de choix dans le diagnostic étiologique des PCE. Elle doit être proposée à chaque fois que la démarche diagnostique n’a pas conduit à une certitude, ou que l’évolution de la pathologie ne correspond pas à celle attendue (persistance des manifestations sous traitement bien conduit). Dans le meilleur des cas, elle permettra d’enregistrer les PCE et autorise une analyse directe du phénomène fixé sur un support, et une étude approfondie en différé (usage du ralenti, examen pluri-disciplinaire des enregistrements, traitement du signal électrophysiologique…). L’analyse du signal EEG demeure cependant difficile : conclure à l’absence d’anomalies épileptiques per-critiques est rendu difficile par la surcharge d’artéfacts qui accompagne la majorité des manifestations d’allure épileptique. L’analyse des périodes pré- (modifications du signal, rythmes recrutants) et postcritiques (persistance d’anomalies lentes alors que toute manifestation clinique a disparu) est indispensable. L’imagerie anatomique est en pratique peu discriminante : 18 % des patients présentant des PCE isolées ont une IRM anormale4 et la scintigraphie cérébrale (SPECT) n’a d’intérêt que pour différencier les deux types de manifestations chez un même patient5. Certains auteurs proposent des méthodes de déclenchement des manifestations critiques par l’utilisation de techniques psychologiques (suggestion) ou physiologiques (injection de placebo, hyperventilation). Ces méthodes, en plus de biaiser la relation thérapeutique au patient, n’ont qu’une faible valeur prédictive positive6 et nous paraissent à proscrire. Une approche centrée sur l’évaluation psychiatrique Le terme même de PCE sous-entend une grille de lecture « neurologique » de ce type de manifestation : la PCE est en fait définie a contrario du diagnostic de crise d’épilepsie familière au neurologue. La prise en charge ne saurait donc se limiter à un diagnostic d’exclusion (si tant est qu’il soit possible sans réserves) et renvoyer le patient hors du champ de la spécialité au simple motif « qu’il ne s’agit pas d’épilepsie ». Une approche centrée sur l’évaluation psychiatrique s’avère donc indispensable.   La prise en charge ne saurait donc se limiter à un diagnostic d’exclusion et renvoyer le patient hors du champ de la spécialité au simple motif « qu’il ne s’agit pas d’épilepsie ».   Longtemps, les PCE ont été considérées comme des « hystéries à symptômes paroxystiques »7. Pour Freud8, les crises ne sont rien d’autre que des fantasmes inconscients traduits dans la sphère motrice. La crise d’origine hystérique est destinée à prendre la place d’une satisfaction auto-érotique antérieurement connue et qui est recherchée. Dans un bon nombre de cas, cette satisfaction (masturbation par contact ou pression sur les organes génitaux, stimulation orale par mouvements de la langue dans la bouche…) resurgit pendant les crises, tandis que le sujet n’en a pas conscience. Pour Freud, la rupture du contact, « l’absence », est l’équivalent des modifications de conscience pouvant être observées à l’acmé d’orgasmes sexuels intenses, faisant de la crise d’hystérie un équivalent de coït. Ainsi, il considère qu’un certain nombre de manifestations comportementales observées lors des PCE ont pour but la recherche d’un plaisir sexuel : urinations comme forme de régression infantile et de stimulation génitale, mouvements de langue, etc. L’approche psychodynamique des PCE s’est largement modifiée lors des dernières décennies, avec la généralisation de l’utilisation des classifications internationales. Parmi elles, le DSM-IV (publié par l’American Psychiatric Association) permet une analyse descriptive, athéorique et standardisée de la symptomatologie psychiatrique. Dans une récente étude rétrospective, nous avons étudié les diagnostics retenus par les psychiatres selon le DSM-IV chez les patients présentant des PCE enregistrées en Vidéo-EEG dans le service de Neurophysiologie clinique du CHU de Tours. Nous avons ainsi mis en évidence que plus d’un patient sur trois présente un état de stress post-traumatique (ESPT) ou des troubles fréquemment associés à une pathologie psychotraumatique (troubles dissociatifs, troubles somatoformes…)3. Parmi les facteurs traumatiques identifiés, les traumatismes sexuels étaient les plus fréquents. Nos observations sont en accord avec les données récentes de la littérature. Certains auteurs considèrent ainsi les mouvements désordonnés observés dans certaines PCE comme la reviviscence comportementale de l’opposition des patients au traumatisme qu’ils ont subi9. Pour d’autres10, les activités motrices observées pendant les crises peuvent correspondre à des sentiments comme la rage, la peur… Là où Freud voyait du plaisir sexuel, la crise traduirait plutôt les réactions comportementales aux assauts terrifiants vécus. Cette conception peut s’étendre aux troubles somatoformes ou aux maladies dans lesquelles des PCE peuvent aussi s’observer. Pour ces auteurs, l’origine de la dissociation psychique est bien un traumatisme réel, et non pas un traumatisme symbolique comme décrit par les psychanalystes.   Là où Freud voyait du plaisir sexuel, la crise traduirait plutôt les réactions comportementales aux assauts terrifiants vécus. Ainsi, dans notre centre, un antécédent de traumatisme physique ou psychique est systématiquement recherché dès que le diagnostic de PCE est posé. Pour cela, et afin de ne pas évoquer la réponse, nous utilisons des phrases neutres du type : « Vous est-il arrivé quelque chose de grave dans votre vie ? ». Fréquemment, les réponses positives permettent de pointer des problématiques parfois jamais abordées et dont les conséquences dépassent largement les aspects médicaux, jetant ainsi les bases d’une prise en charge spécialisée adéquate. En pratique L’observation de pseudo-crises d’épilepsie est une situation clinique fréquente en neurologie. Le diagnostic est difficile (association fréquente avec d’authentiques crises épileptiques, faible valeur prédictive des signes cliniques…) et l’usage de la vidéo-EEG se révèle souvent indispensable. La démarche thérapeutique n’est pas codifiée, mais elle doit passer par la reconnaissance de l’existence réelle des crises (fussent-elles d’origine non épileptique). Cette reconnaissance permet d’aborder ensuite avec le patient la possibilité d’une origine psychiatrique, dominée dans notre expérience par la forte prévalence des états de stress post traumatiques. Une prise en charge spécialisée et multidisciplinaire (neurologue et psychiatre) pourra être proposée à la lumière des données recueillies.

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