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Alzheimer et Démences

Publié le 01 avr 2008Lecture 10 min

L'alimentation dans la genèse et la prévention des démences

P. BARBERGER-GATEAU, Equipe « Épidémiologie de la nutrition et du comportement alimentaire », Inserm, U897, Université Victor-Segalen, Bordeaux
Le rôle de l’alimentation contre le déclin cognitif et la démence suscite un intérêt croissant. Étayées par des hypothèses physiopathologiques réalistes, les études épidémiologiques montrent l’intérêt des aliments riches en antioxydants et oméga 3 pour une prévention du vieillissement cérébral pathologique.
Il n’existe actuellement aucun traitement étiologique de la maladie d’Alzheimer (MA), première cause de démence. L’identification de facteurs de risque environnementaux permettrait une prévention primaire ou secondaire du déclin cognitif. Agir sur l’alimentation a déjà montré son efficacité dans les maladies cardiovasculaires et permet de supposer un effet bénéfique sur la composante vasculaire des démences. De plus, les études expérimentales suggèrent que trois classes de nutriments pourraient avoir un effet protecteur contre le déclin cognitif et la démence : les antioxydants, les folates et les acides gras poly-insaturés oméga 3 (1). L’effet de l’alimentation sur le vieillissement cérébral demande cependant à être confirmé chez l’être humain par des études épidémiologiques d’observation et d’intervention. Cet article fait le point sur les données épidémiologiques concernant le rôle de l’alimentation dans la démence, et en dégage quelques recommandations pratiques. Antioxydants, folates et vieillissement cérébral Les antioxydants d’origine alimentaire (vitamines E, C, caroténoïdes, polyphénols et co-facteurs enzymatiques comme le zinc et le sélénium) contribuent à lutter contre le stress oxydant auquel le cerveau est très vulnérable. Les membranes des neurones sont en effet très riches en acides gras poly-insaturés (AGPI) à longue chaîne, très sensibles à la peroxydation lipidique. De plus, la production de radicaux libres est élevée dans le cerveau, riche en fer pro-oxydant, et dont l’énergie provient du métabolisme du glucose. Paradoxalement, le cerveau est relativement pauvre en systèmes enzymatiques antioxydants endogènes et ceux-ci semblent perdre en efficacité avec le vieillissement. Plus spécifiquement dans la MA, l’accumulation de protéine b-amyloïde s’accompagne d’une augmentation de la production de radicaux libres. Ces phénomènes ont pu être mis en évidence dès le stade Mild Cognitive Impairment (MCI). Les études épidémiologiques concernant les apports alimentaires en antioxydants ont donné des résultats discordants. La plupart sont américaines (Chicago Health and Aging Project, Nurse’s Health Study) et reflètent donc des habitudes alimentaires particulières, tout en comprenant des proportions importantes d’utilisateurs de suppléments. Aux Pays-Bas, la Rotterdam Study a observé un effet protecteur de la consommation de vitamines E et C d’origine alimentaire contre la MA, surtout chez les fumeurs. Or, le tabagisme entraîne une augmentation du stress oxydant. Dans l’étude française PAQUID, des taux plasmatiques bas de vitamine E, marqueur global du niveau de stress oxydant de l’organisme, étaient associés à un risque accru de survenue d’une démence. Deux études d’intervention ont été conduites avec des doses très élevées de vitamine E (2 000 UI/j) : une étude réalisée sur des patients atteints de MA a montré un effet protecteur sur un événement combiné associant le décès, le passage à la démence sévère et l’entrée en institution (2), tandis qu’un essai réalisé sur des patients au stade MCI ne mettait en évidence aucun effet protecteur (3). De telles doses sont toutefois très supérieures aux apports nutritionnels conseillés (ANC) et pourraient même avoir des effets délétères. Une étude ancillaire de la Women's Health Study, essai randomisé en double aveugle de prévention primaire avec 600 UI de vitamine E un jour sur deux (dose encore très supérieure aux ANC), n’a pas montré d’efficacité contre le déclin cognitif, sauf dans un sous-groupe de femmes âgées dont les apports alimentaires en vitamine E étaient faibles (4). Les études épidémiologiques ont donné des résultats discordants. Les caroténoïdes Très peu d’études ont distingué les différents caroténoïdes et elles reposent essentiellement sur des données biologiques. Les études longitudinales analysant la relation entre taux plasmatiques ou consommation de bêtacarotène et risque de déclin cognitif ou de démence ont donné des résultats discordants. Un effet protecteur du bêtacarotène a été mis en évidence contre le risque d’infarctus cérébral, et donc indirectement de démence vasculaire, dans une étude finlandaise. Une consommation plus élevée de bêtacarotène a été associée à un moindre risque de déclin cognitif et de maladie d’Alzheimer, mais uniquement chez les fumeurs, dans la Rotterdam Study. La seule étude d’intervention publiée avec le bêtacarotène (50 mg tous les deux jours), projet ancillaire de la Physician’s Health Study, suggère un effet protecteur contre le déclin cognitif en supplémentation au long cours (5). Cependant, cette étude souffre de nombreux biais, notamment de sélection au cours du suivi, car la supplémentation par le bêtacarotène est associée à une surmortalité comme l’a montré une récente métaanalyse (6). Les autres caroténoïdes ont été moins étudiés. Plusieurs études cas-témoins ont trouvé des teneurs plasmatiques plus basses en caroténoïdes xanthophylles (lutéine, zéaxanthine, b-cryptoxanthine) ou en lycopène chez des sujets atteints de MA, de démence vasculaire ou de troubles cognitifs légers. Une étude en IRM a montré moins de lésions de la matière blanche périventriculaire chez les sujets ayant des taux élevés de zéaxanthine plasmatiques. Cependant, ces études transversales ne permettent pas de conclure en termes de causalité, le déclin cognitif ayant pu amener à des modifications du comportement alimentaire. Les flavonoïdes Les flavonoïdes sont des polyphénols, puissants antioxydants qui se trouvent dans le vin, les fruits, les légumes et le thé, et dont les effets sur le vieillissement cérébral sont encore mal connus. Dans l’étude PAQUID, une analyse tenant compte de l’ensemble de ces sources a montré que le risque de déclin cognitif sur 10 ans était inversement corrélé à la consommation initiale de flavonoïdes. Cependant dans la Rotterdam Study, les effets protecteurs des flavonoïdes contre la MA n’étaient observés là encore que chez les fumeurs. Les fruits et légumes sont les principales sources alimentaires de vitamine C et de caroténoïdes, ainsi que de nombreux polyphénols. La Nurse’s Health Study a montré que la consommation de légumes verts à feuilles diminuait le déclin cognitif. Une métaanalyse de 7 études conclut que la consommation de fruits réduit le risque d’accident vasculaire cérébral de 11 % pour une portion de fruits supplémentaire par jour (7) et donc peut-être indirectement le risque de démence vasculaire. Dans le Kame Project, la consommation au moins 3 fois par semaine de jus de fruits ou de légumes était associée à une diminution de 74 % du risque de MA. Dans l’étude française des 3 Cités, une consommation quotidienne de fruits et légumes était associée à un moindre risque de développer une démence (8). Une métaanalyse de 7 études conclut que la consommatio de fruits réduit le risque d’accident vasculaire cérébral et donc peut-être indirectement le risque de démence vasculaire. Les légumes à feuilles apportent aussi des folates. Cependant, les données d’observation sur la consommation de folates sont très discordantes et cinq des six études d’intervention menées avec des folates, associés ou non à la vitamine B12, obtiennent des résultats négatifs (9,10). La seule étude positive, de publication récente, retrouve une diminution du déclin mnésique chez des sujets de 50 à 70 ans présentant une hyperhomocystéinémie, supplémentés par 800 µg d’acide folique par jour (11). Acides gras et vieillissement cérébral À partir des précurseurs des acides gras essentiels oméga 3 et 6 (respectivement, l’acide alpha-linolénique et l’acide linoléique) fournis par l’alimentation, l’organisme synthétise des dérivés à longue chaîne, l’acide arachidonique (oméga 6) et les acides eicosapentaénoïque (EPA) et docosahexaénoïque (DHA), dérivés de l’oméga 3. Cependant, ces deux derniers doivent également être apportés par la consommation de poisson gras, car le taux de conversion de l’acide alpha-linolénique vers l’EPA et le DHA est faible et semble diminuer avec le vieillissement. Or, les oméga 3 possèdent des propriétés vasculaires (anti-agrégantes, anti-athéromateuses) et anti-inflammatoires, particulièrement importantes au niveau cérébral. De plus, le DHA est le principal constituant des membranes des neurones, participant au maintien de la fluidité membranaire et à la neurotransmission. Dans l’étude PAQUID, les sujets consommant au moins une fois par semaine du poisson avaient un risque de démence significativement réduit dans les 7 ans qui suivent. Les résultats des autres études d’observation (Rotterdam Study, Chicago Health and Aging Study) convergent pour montrer un effet protecteur de la consommation de poisson contre la démence, le déclin cognitif et plus spécifiquement la maladie d’Alzheimer. Dans l’étude des 3 Cités, les consommateurs réguliers de poisson se disaient en meilleure santé, moins déprimés, obtenaient de meilleurs résultats aux tests cognitifs et devenaient moins souvent déments au cours du suivi (8). Cependant, cet effet protecteur pourrait n’intervenir que chez les sujets non porteurs de l’allèle e4 de l’apolipoprotéine E, facteur de risque génétique de la MA. La même étude a observé un moindre risque de démence chez les sujets consommateurs réguliers d’huiles riches en précurseur oméga 3 (huiles de colza et de noix). Les résultats des études d’observation convergent pour montrer un effet protecteur de la consommation de poisson contre la démence. Aucun essai de prévention primaire de la démence par les oméga 3 n’a été publié. L’essai contrôlé randomisé OmegAD a évalué leur intérêt chez des malades Alzheimer à un stade modéré, déjà traités par inhibiteurs de la cholinestérase (12). Un groupe a été supplémenté en DHA (1,7 g/j) et EPA (0,6 g/j) pendant 6 mois, tandis que le groupe contrôle recevait un placebo, puis tous les sujets ont été supplémentés en oméga 3 pendant 6 autres mois. Les résultats globaux ne montrent pas d’effet sur le déclin cognitif, mais celui-ci est très ralenti dans le petit sous-groupe des patients supplémentés au stade le plus léger de la maladie (score MMS > 27/30). En conclusion : quelques recommandations alimentaires ! Les études épidémiologiques d’observation suggèrent un effet protecteur conjoint des antioxydants et des oméga 3 d’origine alimentaire contre le déclin cognitif ou la démence. Cependant, aucune étude d’intervention n’a encore démontré l’intérêt des suppléments vitaminiques ou oméga 3 dans cette indication. Les recommandations du Programme national Nutrition Santé de consommer cinq fruits et légumes par jour, du poisson au moins deux fois par semaine et de privilégier les huiles de colza et de noix pourraient contribuer à faire diminuer l’incidence des démences par des mécanismes, qui restent encore à élucider.  

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