publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Epilepsie

Publié le 20 déc 2010Lecture 15 min

Épilepsie et conduite automobile

Vincent NAVARRO, Unité d’épilepsie et Fédération de Neurophysiologie Clinique, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris, Hervé VESPIGNANI, Service de Neurologie, CHU-Hôpital Central, Nancy
La conduite automobile chez les patients épileptiques pose un problème difficile, car il faut concilier des aspirations apparemment opposées : le principe de précaution qui refuse la conduite automobile à des patients pouvant perdre le contrôle de leur véhicule et la liberté de circulation de tout individu. Le cadre juridique d’autorisation des permis de conduire est lui-même complexe, puisqu’il suit à la fois la législation française et européenne, et qu’il vient par ailleurs d’être récemment modifié. Les neurologues sont, ici, en première ligne : ils ont la responsabilité d’informer les patients de leurs droits et de leurs devoirs en matière de conduite automobile et ils doivent, par la connaissance du type d’épilepsie de leur patient, participer à la décision d’autoriser ou non la conduite automobile tout en restant tenus par le secret médical. 
La question de la conduite automobile doit être abordée dès la première consultation d’un patient épileptique ou n’ayant présenté qu’une unique crise. Souvent, l’éventuelle interdiction transitoire de conduire sera moins bien vécue que l’annonce du diagnostic d’épilepsie ou la nécessité de prendre un traitement prolongé. Enfin, il convient de rappeler que les épileptiques ne sont pas les seuls à être soumis à une législation concernant la conduite automobile, puisque plus de 50 pathologies, qu’elles soient neurologiques comme les séquelles d’accident vasculaire cérébral, les démences, ou aussi variées que le diabète et les troubles du rythme et de conduction cardiaque, peuvent aussi être incompatibles avec la conduite. Combien d’accidents de voiture dans cette population ? La fréquence des accidents de voiture attribués à des crises d’épilepsie et le nombre des patients épileptiques conduisant légalement ou illégalement un véhicule sont difficiles à estimer. M. Beaussart a étudié une cohorte de 2 102 patients épileptiques qu’il suivait en consultation1. Quarante-huit pour cent d’entre eux ne conduisaient pas, parce qu’ils n’avaient pas passé leur permis ou qu’ils ne l’avaient pas obtenu. Les 1 089 épileptiques qui conduisaient (soit 52 % des sujets) ont été suivis pendant une médiane de 12 ans. Plus de 20 % de ces patients (222) ont présenté des crises au volant, avec un total de 409 crises. Ces crises ont été compliquées de 90 accidents avec, dans plus de la moitié des cas, d’importants dégâts matériels, dans 38 cas, des blessés (conducteur ou passagers), et dans 4 cas un décès (du conducteur ou de passagers). Certains facteurs de risque d’accidents de voiture chez les patients épileptiques ont été retrouvés, mais ont montré une faible valeur prédictive : les crises au volant étaient certes plus fréquentes (36 %) chez les malades victimes de crises fréquentes (plus d’une par mois), mais concernaient aussi près de 20 % des patients ayant des crises rares (moins d’une par an). Le nombre de kilomètres parcourus par an augmentait modestement le risque de survenue de crise : ce risque ne fait que doubler chez les patients parcourant de longues distances (> 20 000 km/an), comparativement à ceux n’en parcourant que peu (< 5 000 km/an). Il est également important de noter que des trajets de courte distance, répétés quotidiennement, exposent tout autant au risque de crise au volant que de longs et rares trajets. D’autres études ont estimé que l’épilepsie était à l’origine de seulement 0,25 % des accidents graves de la circulation (2,3), loin après la prise d’alcool, le jeune âge des conducteurs, les pathologies cardiovasculaires (4).   Des trajets de courte distance, répétés quotidiennement, exposent tout autant au risque de crise au volant que de longs et rares trajets. Aspects légaux Les possibilités de conduite automobile du patient épileptique sont soumises à des textes de lois, que le neurologue doit connaître non seulement pour guider au mieux son choix d’autoriser ou non la conduite, mais aussi pour justifier auprès du patient sa décision '5) . La législation française Cette législation a récemment changé, grâce au groupe de travail « Révision des critères d’aptitudes médicales de la conduite automobile », dans le sens d’un assouplissement des contre-indications à la conduite (tableau 1).   Pour les conducteurs de véhicule léger (groupe I), l’incompatibilité est prononcée lorsque l’épilepsie est « active, non contrôlée par le traitement » et qu’elle est responsable d’un « risque additionnel » d’accident de conduite. Ceci autoriserait, par exemple, la conduite à un patient épileptique qui, en dépit d’un traitement adapté, continuerait à présenter des crises exclusivement lors du sommeil. Les critères d’évaluation de ces risques ne sont pas détaillés dans le texte de loi. C’est au neurologue traitant de les apprécier. À titre indicatif, des éléments d’appréciation de ces risques ont été proposés par différentes instances et seront détaillés plus loin. La plus grande avancée de la loi de décembre 2005 concerne les conducteurs de poids lourds (groupe II), pour qui il n’existe plus d’incompatibilité définitive de conduite en cas d’antécédents de crises. L’autorisation pourra être donnée, « avec la plus extrême prudence » dans certaines conditions, en cas d’épilepsie contrôlée, avec la nécessité de l’absence de crises depuis au moins 3 ans. Les conducteurs professionnels (d’auto-école, de taxi, d’ambulance, de ramassage scolaire, etc.) relèvent également du groupe II. La Commission des permis de conduire, fait alors appel à un « neurologue agréé », différent du neurologue traitant. Les neurologues agréés sont des experts, si possible épileptologues, désignés par le préfet, dont la formation est malheureusement hétérogène, notamment d’une région à une autre. Une formation spécifique est actuellement proposée aux neurologues (EPIROUTE), sous l’égide de la Ligue française contre l’épilepsie, avec l’agrément du ministère des Transports. La législation européenne La législation européenne est en cours de révision. Un rapport proposant de nombreuses adaptations du texte de 1991 a été remis en avril 2005 à la Commission européenne. Le texte datant de 1991 (tableau 2) est notamment très restrictif pour la conduite des poids lourds, puisqu’il écarte tout patient susceptible de présenter une crise au volant. Il est également stipulé que tout conducteur européen doit être titulaire du permis de conduire de son pays d’origine.   La législation relative au Code des Assurances La seule condition pour être assuré est d’être titulaire légal du permis de conduire correspondant à la catégorie du véhicule assuré. Chez les patients épileptiques, il s’agit d’avoir obtenu de la Commission des permis de conduire un permis transitoire, renouvelé tous les ans. Les assureurs ne peuvent demander ni certificat, ni visite médicale. En cas d’omission de déclaration de son épilepsie dans le formulaire obligatoire lors du passage des épreuves du permis de conduire ou de non passage devant la commission du permis de conduire, si ce permis était déjà acquis, le patient doit savoir qu’en cas d’accident au volant, les dommages dont il serait responsable pourraient ne pas être couverts par son assurance, qui peut invoquer la nullité de son contrat, au motif que le patient n’était pas détenteur d’un permis légal. La législation dans les autres pays Il existe un contraste flagrant entre certains pays comme le Japon jusqu’en 2002 et comme quelques états des États-Unis actuellement, où l’interdiction de conduite automobile est totale et définitive, et d’autres pays où l’interdiction se limite à 6 mois sans crise. Au sein des états européens, les législations de chaque pays sont également très différentes. Au Canada, la distinction entre le « groupe I » et le « groupe II » ne repose plus sur la taille du véhicule, mais sur l’activité du conducteur, qui est considérée comme « professionnel » (groupe II) s’il parcourt plus de 30 à 40 000 km/an. Il est probable que l’évolution future des législations françaises et européennes s’inspirera de cette dichotomie. Conduite à tenir en pratique L’information du patient L’information du patient est cruciale. Elle est la seule garantie d’un suivi des conseils prodigués par le neurologue. Idéalement, elle peut se faire en présence d’un membre de la famille (avec l’accord du patient) pour que les raisons d’une éventuelle contre-indication transitoire à la conduite automobile puissent être réexpliquées par la suite. Une preuve de cette information, tout comme l’avis concernant l’autorisation ou non de conduite automobile devront impérativement être consignés dans le dossier médical et pourront figurer dans le courrier adressé au médecin traitant si le patient en est d’accord. Il est, en effet, nécessaire qu’une trace de cette information existe, car le malade pourrait, en cas d’accident grave, se retourner contre son médecin qui ne lui aurait pas expliqué les risques de conduite avec une épilepsie mal contrôlée. En revanche, le secret médical reste de rigueur vis-à-vis de la médecine du travail. Lorsque la conduite automobile est contre-indiquée chez un patient épileptique utilisant un véhicule dans le cadre de son travail, il faut parfois user de toute sa force de persuasion, avec éventuellement l’aide du médecin traitant, pour que l’intéressé déclare lui-même cette contre-indication à la médecine du travail. Cette dernière devra alors mettre en place un aménagement transitoire ou définitif du poste de travail.   Le secret médical reste de rigueur vis-à-vis de la médecine du travail.   Évaluation des risques de crises d’épilepsie au volant La législation française, tout comme la législation européenne, insistent sur l’importance de l’évaluation des risques de crise au volant par un « neurologue agréé » ou une « autorité médicale compétente », car il n’existe pas de critères officiels définissant ces risques. L’évaluation doit se faire au cas par cas et sur la globalité de l’histoire clinique du patient. Entrent en compte :   La fréquence des crises, et notamment la durée sans récidive de crise Ce paramètre est important, souvent utilisé dans les textes de loi, mais est insuffisant, car il peut être difficile à estimer, et ne résume pas l’ensemble des critères de risques.   Le symptôme épileptique L’existence de crises généralisées, de crises partielles complexes (c’est-à-dire avec une rupture de contact) expose à un risque accru d’accident, comparativement à un patient qui ne présenterait que des crises partielles simples.   Le syndrome épileptique Un patient souffrant d’épilepsie généralisée idiopathique (EGI), avec exclusivement des crises généralisées du réveil, serait en théorie moins exposé à des crises au volant qu’un malade ayant une épilepsie partielle pharmaco-résistante. Le syndrome épileptique peut également permettre d’évaluer les possibilités futures d’une reprise de la conduite : dans le cadre d’une EGI, le contrôle des crises est souvent plus facile, que dans une épilepsie partielle pharmaco-résistante. L’IRM cérébrale peut également participer à l’estimation du délai avant la reprise éventuelle de la conduite, en identifiant l’étiologie d’une épilepsie : par exemple, une épilepsie associée à une sclérose hippocampique, compte tenu de son fort potentiel de pharmaco-résistance, laissera présumer d’une incompatibilité prolongée à la conduite, sauf si une chirurgie pouvait être envisagée. De même, certaines épilepsies partielles frontales ont une expression purement nocturne, ce qui pourrait autoriser une conduite durant la journée. Enfin, certaines épilepsies sont purement réflexes : la photo-sensiblité peut constituer un risque (conduite le long d’allées d’arbres éclairés par le soleil, néons dans un tunnel) ; d’autres stimuli, s’ils ne sont pas présents durant la conduite, ne représenteraient pas une incompatibilité.   La réponse pharmacologique, et l’observance thérapeutique Ces paramètres sont fondamentaux. Il convient également d’évaluer d’éventuels effets sédatifs liés aux traitements antiépileptiques, qui sont d’autant plus à craindre que le patient prend plusieurs traitements, et que la posologie de ces molécules est élevée.   Le terrain L’âge du patient, ses éventuelles pathologies associées, son état psychique sont des paramètres qui doivent aussi rentrer en ligne de compte. Un jeune patient épileptique, ayant des troubles du comportement, est à risque d’inobservance thérapeutique, d’écarts importants dans son hygiène de vie, et donc de crises au volant. Il a, de plus, été montré dans la population générale américaine que le deuxième facteur identifié d’accidents de voiture était le jeune âge des conducteurs (24 %), après l’alcool (31 %).   Un antécédent d’accident de voiture lié à une crise semble également être un facteur de risque de récurrence. À titre indicatif, le tableau 3 résume les recommandations de la Commission du bureau international de l’épilepsie.     Certaines de ses recommandations sont plus restrictives que ne l’est la nouvelle législation française, notamment concernant la conduite de poids lourds (absence de récidive de crise après l’arrêt prolongé de tout traitement). À l’inverse, certains symptômes épileptiques (les crises partielles simples et les secousses myocloniques) sont considérés sans risque de survenue d’accident au volant. Il serait préférable d’être plus prudent, car certaines crises partielles simples peuvent altérer les capacités de conduite (crise partielle simple visuelle dans l’hémichamp gauche). D’autre part, même sous traitement, il n’est pas rare que certaines crises partielles simples soient suivies d’une crise partielle complexe, méconnue par le patient, car de courte durée. Concernant les myoclonies, la prudence est aussi de rigueur, car qu’elles touchent les membres supérieurs ou les membres inférieurs, même si elles ne durent qu’une fraction de secondes, elles exposent à un risque de perte de contrôle du véhicule. Les démarches Lorsque la reprise de la conduite automobile semble possible, le neurologue doit expliquer la procédure à suivre par le patient qui, lui seul, devra déclarer à la préfecture son épilepsie et saisir la Commission médicale primaire du permis de conduire, qui, le plus souvent, réclamera un certificat détaillé de la part du neurologue traitant. Un tel certificat sera régulièrement demandé au neurologue traitant, car le permis de conduire n’a qu’une validité limitée (elle est actuellement d’un an) ce qui implique de se représenter annuellement devant la Commission médicale primaire du permis de conduire. Cette situation risque d’altérer les relations de confiance entre le neurologue et son patient, car un patient épileptique pourrait être tenté de ne pas signaler la récidive de quelques crises à son neurologue, pour s’assurer d’obtenir le renouvellement de son permis de conduire. Il convient de rappeler que le neurologue traitant n’a, en théorie, qu’un rôle consultatif, puisque c’est à la Commission médicale primaire du permis de conduite qu’incombe le rôle d’autoriser ou non la conduite. De plus, sauf cas exceptionnel, le neurologue ne doit pas lui-même informer la préfecture de l’incompatibilité qu’il vient d’indiquer au patient. Le Conseil de l’Ordre des Médecins a, en effet, refusé toute levée du secret médical, alors que l’Académie de Médecine a récemment évoqué la possibilité de lever le secret médical dans des cas très extrêmes. En pratique, la tâche difficile d’annoncer une incompatibilité transitoire de conduite revient le plus souvent au neurologue traitant, alors que la Commission médicale primaire du permis de conduite est plutôt sollicitée lorsque l’état du patient s’est stabilisé et que son neurologue juge opportun la reprise de la conduite. L’autorisation de conduite automobile doit être accompagnée des recommandations habituelles faites aux patients épileptiques concernant leur hygiène de vie. Ces règles devront être suivies encore plus scrupuleusement lorsque la conduite est autorisée : sommeil régulier et suffisant, absence de consommation alcoolique, bonne observance thérapeutique. Il faut également convaincre le patient de ne pas prendre ponctuellement le volant s’il se sent trop fatigué, ou à risque d’une éventuelle récidive de crise.         En pratique, la tâche difficile d’annoncer une incompatibilité transitoire de conduite revient le plus souvent au neurologue traitant.   Conclusion La législation française concernant la conduite automobile a récemment changé. La législation européenne va bientôt l’être. Ces lois devraient être plus justes, car elles n’envisagent plus d’incompatibilité définitive en cas d’épilepsie, mais prennent en compte la globalité de l’histoire clinique de chaque patient. Elles devraient aussi éviter qu’un important pourcentage de patients épileptiques (probablement plus de 80 %) conduisent illégalement. L’incompatibilité de conduite est liée à l’imprévisibilité des crises. Malgré d’importants efforts dans le domaine de l’anticipation des crises par analyse de l’EEG, il n’est pas encore possible, en routine, de prédire l’imminence d’une crise chez un patient au volant.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

Vidéo sur le même thème