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Neurologie générale

Publié le 20 déc 2010Lecture 12 min

Comment explorer une dystonie de l’adulte ?

A. KREISLER, Service de neurologie et pathologie du mouvement, CHU de Lille
Bien que les formes idiopathiques de dystonie soient de loin les plus fréquentes, ce type de mouvement anormal, au demeurant rare, peut s’observer également dans de nombreux cadres pathologiques. La diversité de ces étiologies souligne la nécessité d’orienter les investigations à partir de l’anamnèse et de l’examen clinique.
La dystonie est un mouvement anormal rare. La prévalence des dystonies généralisées est de 24 à 50 par million d’habitants de moins de 26 ans, et de 101 à 430 par million au delà de 26 ans ; celle des dystonies focales est près de dix fois plus élevée mais varie en fonction du type de dystonie : 30 à 90 par million pour les dystonies cervicales, 10 à 70 par million pour le blépharospasme, 5 à 70 par million pour les dystonies du membre supérieur1. Les formes idio pathiques, lors desquelles les explorations paracliniques sont par définition normales, sont de loin les plus fréquentes. Néanmoins, il est souvent difficile d’affirmer le caractère idiopathique d’une dystonie sur les seules données cliniques ; un bilan minimal est donc habituel. Les dystonies secondaires sont caractérisées par la grande richesse de leurs étiologies. Leurs grands cadres sont primordiaux à connaître, car ils orientent la façon de mener les explorations, même si la conduite à tenir ne saurait être stéréotypée. Reconnaître la dystonie Il s’agit de la première étape dans la prise en charge, capitale compte tenu des nombreux diagnostics différentiels. La dystonie est un mouvement anormal involontaire qui repose sur des contractions musculaires soutenues de durée variable (quelques secondes, minutes, voire heures), répétitives, responsables de postures anormales stéréotypées. Le mouvement peut être spontané ou déclenché par un mouvement volontaire du site dystonique ou d’une autre région du corps ; par conséquent, le caractère fixé d’une posture d’allure dystonique constitue une atypie, surtout si le mouvement anormal est apparu récemment. D’autres facteurs déclenchants potentiels doivent être recherchés : la fatigue, les émotions, certains aliments (pour DYT8, notamment), le froid ou le vent (pour le blépharospasme). La présence d’un geste antagoniste est inconstante (environ 50 % des cas), mais constitue un argument diagnostique de premier ordre. Les muscles dystoniques peuvent être hypertrophiés et douloureux. La dystonie peut enfin être responsable d’un tremblement, notamment cervical. Ce tremblement s’accompagne souvent, mais pas toujours, d’une posture anormale. L’amplitude du tremblement dystonique est classiquement modifiée selon la posture du segment intéressé, s’atténuant lorsque les muscles dystoniques sont en position de moindre tension. Un tremblement postural des membres supérieurs peut accompagner une dystonie cervicale. Les dystonies de fonction se caractérisent par l’apparition des contractions musculaires involontaires lors de la réalisation de gestes spécifiques : l’écriture (crampe de l’écrivain), la parole (dysphonie spasmodique, dystonie oromandibulaire), la mastication (dystonie oromandibulaire). Cependant, après quelques années, une dystonie de fonction peut survenir lors d’autres activités que celle initialement impliquée ; la crampe de l’écrivain devient ainsi souvent une « crampe dystonique ». Enfin, dans de rares cas, la dystonie se manifeste par paroxysmes ; une origine métabolique doit alors être suspectée. La reconnaissance d’une dystonie passe également par une parfaite connaissance des diagnostics différentiels car un grand nombre de pathologies organiques peuvent mimer une dystonie (tableau 1) par phénomène mécanique, réflexe ou adaptatif. L’interrogatoire et l’examen sont habituellement suffisants pour les évoquer. L’origine psychogène est parfois difficile à affirmer, car les tableaux caricaturaux sont inconstants. Le caractère organique des dystonies a d’ailleurs été longtemps méconnu.   Orienter les investigations La classification étiologique des dystonies (figure 1) aide à comprendre la hiérarchisation des investigations complémentaires et souligne le caractère primordial de l’anamnèse et de l’examen clinique. En effet, les examens paracliniques potentiels – particulièrement nombreux et coûteux dans ce cas de figure – ne trouvent leur justification qu’après avoir envisagé les fréquentes causes anoxiques ou iatrogènes, et parfaitement établi le cadre sémiologique ; sans quoi leur rentabilité sera inévitablement d’une grande faiblesse.   Figure. Classification étiologique des dystonies. La dystonie est-elle aiguë ? Un premier épisode dystonique à début brusque doit faire envisager en premier lieu une cause iatrogène. Les neuroleptiques classiques mais aussi atypiques sont les « fautifs » les plus habituels. On peut également incriminer des antidépresseurs (lithium, tricycliques, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine), les anxiolytiques (benzodiazépines, buspirone, fluspirilène), des antiépileptiques (phénytoïne, barbituriques, carbamazépine, gabapentine, tiagabine), la L-Dopa et les agonistes dopaminergiques, des sympathomimétiques (méthyl - phénidate, ergotamine), les inhibiteurs calciques, les antihistaminiques, le fentanyl, le propofol. La dystonie est alors volontiers axiale et accompagnée de signes psychiques. Les mouvements anormaux n’apparaissent parfois qu’après plusieurs jours de traitement. La prise ou l’exposition à un toxique doit aussi être envisagée : cocaïne (exposition ou sevrage), amphétamines, monoxyde de carbone, cyanure, méthanol, métaux lourds (manganèse, mercure organique), disulfirame, cyanite, acide 3-nitro-propionique (betterave sucrière avariée) ; la dystonie est alors rarement isolée. La prise d’une drogue doit conduire à la réalisation rapide d’une IRM cérébrale car la toxicité peut s’exprimer par l’intermédiaire d’une vascularite. Des anomalies en IRM peuvent aussi être observées lors des autres intoxications, notamment aux métaux et au cyanure. Même si une cause iatrogène ou toxique est identifiée, un bilan biologique minimal doit être effectué à la recherche d’une dysthyroïdie (notamment hyperthyroïdie), d’une modification de la glycémie (notamment hypoglycémie), de la natrémie, de la calcémie, de la magnésémie. En l’absence d’explication à partir des données de l’anamnèse et du bilan biologique de première intention, d’autres hypothèses doivent être envisagées et explorées selon le contexte : syndrome de démyélinisation osmotique (myélinolyse extrapontine), encéphalite, sida et ses complications (toxoplasmose, cryptococcose), pathologie inflammatoire (sclérose en plaques, syndrome des antiphospholipides, lupus). La dystonie est-elle paroxystique ? La durée des épisodes est habituellement limitée à quelques minutes et dépasse exceptionnellement deux heures (six heures maximum). Les dystonies paro - xystiques sont le plus souvent primaires, avec un déterminisme génétique parfois identifié (DYT8, DYT9 et DYT10) (tableau 2).     Les dystonies paroxystiques secondaires sont rares et répondent à un nombre limité d’étiologies (figure) 4, ce qui permet de restreindre les examens à une IRM cérébrale et un bilan endocrinien, avant d’en venir à la biologie moléculaire, sauf contexte évocateur d’une autre affection (dystonie post-encéphalitique, par exemple). La dystonie est-elle primaire ? Cet élément de la classification est devenu un peu artificiel depuis l’avènement de la biologie moléculaire, puisque dans de nombreux cas la dystonie peut être reliée à une mutation. Les arguments en faveur d’une dystonie primaire sont le caractère isolé de la dystonie à l’examen physique (à l’exception d’un tremblement ou de myoclonies), l’existence d’un geste antagoniste, le caractère fluctuant de la dystonie (avec parfois des épisodes de rémission) et l’absence d’antécédent contributif. En cas de début dans l’enfance, la dystonie est alors souvent généralisée, avec un début aux membres inférieurs. Un début à l’âge adulte est souvent à l’origine d’une dystonie focale ou segmentaire, plutôt de topographie cervicale ou faciale. Une IRM cérébrale est demandée à titre systématique en cas de dystonie généralisée ; même si elle est rarement contributive, elle peut réorienter le diagnostic vers une maladie métabolique (tableau 3). Elle a également un intérêt si la dystonie est focale : certains tableaux d’allure primaire peuvent être consécutifs à une lésion striatale, thalamique ou pariétale (quelle qu’en soit la nature). Devant un blépharospasme typique, isolé et débutant après 50 ans, on peut s’abstenir de l’imagerie dans un premier temps, du moins, et se contenter du suivi clinique.     L’IRM médullaire est importante en cas de torticolis ; une tumeur de la moelle cervicale, ainsi qu’une syringomyélie peuvent être à l’origine d’une posture anormale cervicale mimant une dystonie. Un bilan bio - logique simple est également préconisé à titre systématique (identique à celui pratiqué en cas de dystonie aiguë). Si aucune anomalie n’est retrouvée après cette première ligne d’examens, la recherche d’une origine génétique doit être proposée (tableau 2), même en l’absence d’antécédents familiaux, puisque la pénétrance des mutations connues est inférieure à 50 %. De façon pragmatique : en cas de dystonie généralisée, rechercher DYT1 puis DYT6 (DYT2 et 4 ne sont pas recherchées car le locus n’est pas identifié) ; en cas de dystonie focale, rechercher DYT1 puis DYT6, DYT7 et DYT13. Dans certaines dystonies primaires d’origine génétique, la dystonie s’associe à d’autres signes (« dystonies plus ») (tableau 2), notamment des myoclonies (DYT11), un syndrome parkinsonien (DYT12), une surdité (syndrome de Mohr-Tranebjaerg). Enfin, il convient de rechercher une forte dopa-sensibilité devant toute dystonie d’allure primaire. Dans de rares cas (« dystonies dopasensibles » DYT5 et DYT14) une amélioration de plus de 90 % des signes dystoniques après administration d’une faible dose de L-Dopa (100 mg), apporte une réponse tant diagnostique que thérapeutique. Dans ce cadre, seule la mutation DYT5 (GTP cyclohydroxylase 1) est habituellement recherchée. Les investigations peuvent être complétées par un dosage de cathécholamines dans le liquide cérébro spinal (acide homovanillique, acide 5- hydroxy indolacétique, néoptérine, bioptérine). Les dystonies secondaires Si certaines causes simples peuvent être identifiées dès l’interrogatoire, il existe de nombreuses étiologies exceptionnelles, habituellement explorées en milieu spécialisé. Une origine anoxique, iatrogène, toxique ou endocrinienne doit être recherchée avant d’envisager des explorations plus poussées. Par exemple, une exposition professionnelle au manganèse minime mais répétée fera apparaître progressivement une dystonie axiale (marche de coq), des troubles cognitifs, un syndrome parkinsonien, un syndrome pyramidal et un tremblement postural. Le cadre le plus habituel des dystonies généralisées est celui des anoxies : anoxie néonatale, arrêt cardio-respiratoire, accident d’anesthésie, spasme artériel. Les mouvements anormaux sont de type dystonique ou parkinsonien, s’accompagnent volontiers de troubles cognitifs, d’une épilepsie, voire d’un syndrome pseudo-bulbaire. Ils apparaissent plusieurs semaines à plusieurs années après l’hypoxie. L’intervalle libre moyen est de 25 ans au décours des anoxies néonatales, mais inférieur à 1 an en cas d’anoxie chez l’adulte. Plus le délai est long, moins la relation de cause à effet est plausible. Il faut donc savoir ne pas s’arrêter à cet antécédent, surtout si l’anoxie est mal documentée, si la dystonie est focale ou si l’IRM cérébrale est normale. La constatation d’une hémidystonie fera fortement évoquer une lésion cérébrale focale. Une lésion focale peut aussi être à l’origine d’une dystonie segmentaire ou focale. Elle est souvent localisée dans les noyaux gris, parfois le lobe pariétal. La dystonie se manifeste en règle quelques semaines à plusieurs mois après l’installation de la lésion. La nature des lésions est surtout vasculaire (ischémie, hémorragie, vascularite, malformation artério-veineuse). On peut également rencontrer des lésions tumorales, inflammatoires (sclérose en plaques, maladie de Behçet, lupus, syndrome des antiphospholipides) ou traumatiques. La relation de cause à effet entre un traumatisme crânien et l’apparition d’une dystonie reste discutable si l’imagerie ne révèle pas de lésion des noyaux gris, aussi la simple identification de cet antécédent ne suffit-elle pas à clore les investigations. Des cas de dystonie périphérique ont été décrits, consécutifs à un traumatisme sévère, parfois dans le cadre d’une algoneurodystrophie. Les syndromes parkinsoniens dégénératifs comportent volontiers une part dystonique, qu’elle fasse partie intégrante de la maladie ou soit la conséquence d’un traitement par L-Dopa (dyskinésies de début et de fin de dose, surtout). Une dystonie asymétrique prédominant au membre supérieur, présente d’emblée et rapidement sévère est caractéristique de la dégénérescence corticobasale. La maladie de Parkinson elle-même peut comporter une dystonie (surtout en distalité des membres et au visage) ; les facteurs de risque sont un âge de début précoce, le sexe féminin et une longue durée de la maladie. L’atrophie multisystématisée peut comporter un antécolis ou une dystonie des frontaux (quant au classique stridor laryngé, il repose plus sur un déficit des dilatateurs de la glotte que sur une dystonie des adducteurs). La paralysie supranucléaire progressive peut associer un rétrocolis, une dystonie des frontaux, une apraxie d’ouverture des paupières. L’existence d’une dystonie n’incite pas à réaliser un bilan plus large que celui habituellement proposé dans le cadre de ces maladies. La dystonie peut s’observer lors d’autres maladies neurodégénératives (tableau 2), telles la maladie de Huntington, la dégénérescence dentato-rubro-pallido-luysienne, la maladie de Friedreich ou la maladie de Machado-Joseph (SCA3) ; elle n’est alors pas au premier plan du tableau. Elle est plus franche lors de la neuro acanthocytose. Parmi les étiologies métaboliques (tableau 3) (5,6), certaines sont faciles à dépister et impliquent une thérapeutique rapide. Lors de la maladie de Wilson, la dystonie figure rarement au premier plan du tableau clinique ; cependant, devant une dystonie comme devant tout tableau extrapyramidal d’allure dégénérative ayant débuté avant 50 ans, il est impératif d’explorer le métabolisme du cuivre (cuprurie de 24 heures, coeruloplasminémie, cuprémie) et de rechercher des dépôts de cuivre encéphaliques (IRM) et cornéens (lampe à fente). Rappelons à ce propos, l’importance de l’examen ophtalmologique dans de nombreuses maladies métaboliques. Il est également aisé de dépister une homocystinurie (homocystéinémie), une maladie de Gaucher (β-glucosidase), une leucodystrophie métachromatique (IRM, activité arylsulfatase A), un déficit en PTPS (prolactinémie, phénylalaninémie, test L-Dopa), une acoeruloplasminémie et une maladie de Fahr (scanner).

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