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Alzheimer et Démences

Publié le 20 déc 2010Lecture 10 min

Comment annoncer le diagnostic de maladie d’Alzheimer ?

C. MONTANI, Pôle pluridisciplinaire de médecine, Pavillon Elisée-Chatin, CHU de Grenoble

La communication du diagnostic de maladie d’Alzheimer exige de prendre un ensemble de précautions. Le préalable étant de s’assurer de la fiabilité du diagnostic. L’annonce n’est légitime que si elle est progressive, personnalisée et accompagnée. Elle s’inscrit dans un partenariat triangulaire : malade-famille-médecin qui se développe dans une temporalité nécessaire.

Si la légitimité de l’information diagnostique est soumise à controverses dans de nombreuses maladies, elle l’est d’autant plus dans le champ des pathologies démentielles car, en effet, le statut du malade dément, privé au moins partiellement de ses capacités de discernement, confère à la relation thérapeutique une responsabilité accrue. Le praticien devra cheminer en fonction de ses propres valeurs, de ses repères déontologiques et, bien évidemment, de la qualité de la relation nouée avec le patient et sa famille. Depuis ces vingt dernières années, la littérature abonde de travaux et de réflexions sur l’annonce du diagnostic (1). On est frappé de constater que le débat est loin d’être clos, tant les partisans et les adversaires de l’information s’opposent. Dans une période précédant l’arrivée des médicaments anticholinestérasiques, les auteurs estimant qu’il convient d’atténuer le diagnostic, insistent sur l’incertitude du diagnostic et sur la notion de non-malfaisance. À quoi bon inquiéter les patients alors qu’il n’existe pas de véritables traitements ? Les partisans de l’annonce se réfèrent quant à eux au principe de l’autonomie : si les patients sont correctement informés sur leur état, ils sont plus à même d’être partenaires dans les soins proposés. Les premiers raisonnent sur un modèle déontologiste, alors que les deuxièmes s’appuient sur des valeurs paternalistes (2). À l’heure actuelle, comme le soulignent fort bien Gzil et Latour, les arguments s’inversent : ce n’est plus au non du principe de l’autonomie, mais au nom du principe de bienfaisance que l’on défend l’information des malades et de leur famille. Avoir connaissance du diagnostic permet d’avoir accès à une prise en charge. A contrario, le principe d’autonomie est à la base de la non-information et du droit de ne pas savoir. La légitimité de l’information diagnostique Selon la loi Kouchner du 4 mars 2002 (3), l’obligation d’informer sur la prescription médicamenteuse supposerait, dès lors que le patient est traité, qu’il soit renseigné sur sa pathologie car, comme nous le savons la notice d’utilisation des anticholinestérasiques est fort explicite quant aux indications, et le diagnostic d’Alzheimer y figure sans équivoque. Il faut cependant rappeler que la loi en question prévoit quatre exceptions au devoir d’information : l’urgence, l’impossibilité de dispenser l’information, le refus du patient de recevoir cette information et l’intérêt du patient face à un diagnostic grave. L’esprit de la loi nous ramène donc à des considérations à la fois pragmatiques et psychologiques, et à dépasser les aspects purement juridiques. Nous retrouvons ces nuances dans le code de déontologie médicale (4) qui propose un ajustement à l’aptitude du patient à comprendre l’information qui lui est donnée et à l’impact que cette information pourrait avoir sur une personne en état de vulnérabilité psychique (art. 35). « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ». Le fait d’être informé permet à certains malades une relative appropriation de la maladie en mettant un nom sur ce qui leur arrive et en mettant du sens sur l’expérience vécue. L’information leur permet aussi de se sentir moins isolé. Quand l’information est partagée, le risque de coalition de ceux qui sont supposés savoir (les professionnels et la famille) contre celui qui est tenu à l’écart est moins grand (5). Le patient a plus de libertés pour en parler. Enfin, l’information diagnostique peut donner accès aux prises en charge et aux aides médico-sociales maintenant bien balisées. Le fait d’être informé permet à certains malades une relative appropriation de la maladie. Depuis 2002, la loi donne la possibilité au malade de désigner une personne de confiance pour recevoir les informations, le représenter et prendre les décisions qui s’imposent lorsqu’il ne sera plus en capacité de le faire. Idéalement, cette proposition s’applique aux malades encore peu altérés. Mais lorsque la personne n’est plus assez autonome pour désigner ce tiers, ou qu’elle n’a pas été en mesure de formuler des mesures anticipées, qui est le bon interlocuteur ? le conjoint ? l’enfant qui est le plus impliqué ? un membre de la fratrie ? À la différence de la pédiatrie où les parents sont des référents de droit, en gériatrie on se heurte au choix du bon dépositaire de l’information. Le droit de savoir ne doit pas occulter le droit de ne pas savoir. Les limites de l’information diagnostique Malgré les progrès de la clinique et de la neuro-imagerie, la maladie d’Alzheimer et les pathologies apparentées (démence fronto-temporale, démence à corps de Lewy…) sont à l’heure actuelle des diagnostics de probabilité. Cette absence de certitude dans l’établissement du diagnostic pose un réel problème surtout dans les stades précoces de l’affection. Elle pose aussi une vraie difficulté chez les grands vieillards qui sont le plus souvent polypathologiques et dont l’évolution s’avère non spécifique. Le droit de savoir ne doit pas occulter le droit de ne pas savoir. L’annonce du diagnostic ne saurait être une obligation, elle s’inscrit dans la relation de confiance instaurée entre le médecin, le patient et sa famille. À cet égard, des enquêtes réalisées auprès de médecins généralistes et psychiatres révèlent leur réticence à communiquer un diagnostic de pathologie démentielle (6). Un fort pourcentage utilise des euphémismes (confusion, problème de mémoire), et seulement 55 % l’annoncent au patient lui-même. Ils redoutent l’impact traumatique de l’annonce chez des patients qui ne sont plus en capacité de faire face. Il existe en fait très peu de données sur le retentissement psychologique de l’annonce diagnostique (7), et elles apparaissent plutôt contradictoires (8,9). Toutefois, il existe une plus grande cohérence lorsque les résultats portent sur la propre opinion des patients (10). Ils disent perdre leur estime de soi, et 70 % ont peur de ne plus être écoutés. Pour une information acceptable Nous devons améliorer les conditions de l’annonce en pensant que les représentations attachées au mot « Alzheimer » renvoient à des signifiants différents selon que l’on se situe en tant que professionnel ou en tant que malade. Pour le praticien qui énonce le diagnostic, le vocable « Alzheimer » évoque l’aboutissement de l’investigation clinique et paraclinique, alors que le patient et ses proches entendent un pronostic (11) assorti de toutes les représentations négatives de la « démence ». La communication du diagnostic exige un ensemble de précautions préalables : se demander ce que le patient et sa famille veulent savoir, anticiper sur le retentissement supposé de l’annonce après avoir appréhendé la personnalité du patient et les ressources psychiques de la famille. Aujourd’hui, un consensus semble s’établir autour de l’idée que l’annonce n’est légitime que si elle est progressive, personnalisée et accompagnée (12). Le diagnostic doit être communiqué de façon graduée en tenant compte des possibilités d’acceptation de l’interlocuteur, ce qui suppose d’envisager l’annonce dans une temporalité nécessaire. Le diagnostic n’est jamais une certitude absolue surtout au début des troubles. Dès lors, il est plus prudent de parler d’Alzheimer probable ou de probable maladie neurodégénérative. À cette incertitude s’ajoute la variabilité individuelle de l’évolution qui, comme nous le savons, est multifactorielle et incline à beaucoup de prudence. Le malade comme sa famille doivent comprendre qu’il ne s’agit pas d’un verdict, mais d’une information partagée sur un diagnostic possible. La communication du diagnostic s’inscrit dans un échange et c’est la qualité de l’échange qui rend plus facile l’annonce. En adaptant l’information à l’interlocuteur mieux repéré, la communication avance. À l’inverse de certaines maladies graves et évolutives, le partenariat s’inscrit ici dans une relation triangulaire : maladefamille- médecin, car la famille devient très vite non seulement un pivot du soin, mais aussi très vite extrêmement vulnérable et donc devant être aidée. Les familles acceptent plus facilement le diagnostic lorsqu’il est formulé dans un contexte d’écoute. En effet, la posture d’écoute les met en position d’exprimer une demande, leur demande. Dans ces conditions, les risques d’évitement ou de déni du diagnostic seront plus limités. On n’insistera jamais assez sur le danger ou les ravages que peuvent faire des consultations protocolaires routinières. Qui est le mieux placé pour communiquer le diagnostic ? est-ce celui qui connaît le mieux le malade, son médecin traitant ? ou celui qui est censé connaître le mieux la maladie, le neurologue ? Dans ce genre de pathologie, l’évolution des troubles est suffisamment longue et progressive pour que l’information se fasse, elle aussi, de façon graduée. Le médecin généraliste sera le mieux placé pour pointer au malade et à sa famille son inquiétude quant à une possible entrée dans un processus déficitaire, et pour l’adresser au neurologue qui à son tour confirmera, à l’issue d’examens complémentaires, le diagnostic supposé. Ce faisant, le malade comme ses proches seront en partie préparés à recevoir l’information. Mais le plus important c’est qu’il leur soit signifié que même s’il n’existe pas à l’heure actuelle de traitements curatifs, une aide et un suivi tout au long de la maladie leur seront apportés. Conclusion La question de l’information diagnostique demeure aujourd’hui particulièrement difficile et le débat reste ouvert. Pour de nombreux auteurs, la question actuelle se pose davantage en termes de « Comment annoncer le diagnostic ? » plutôt que « Faut-il annoncer le diagnostic ? ». Un consensus se profile autour de l’idée que toute annonce n’est pas anodine tant pour le patient que pour ses proches et, qu’à ce titre, elle doit s’entourer d’un ensemble de précautions, la première étant bien entendu de s’assurer de l’exactitude du diagnostic, notamment chez les plus âgés ou dans les stades précoces de la maladie. À l’annonce « à tout prix » sera substituée une information personnalisée, progressive et acceptable sur ce que le patient et sa famille sont en mesure d’entendre et d’intégrer. Acceptable ne signifie pas pour autant de communiquer une information erronée. Elle s’inscrira dans une démarche d’accompagnement et de soins tout au long du processus, sans écarter les questions éthiques qui inévitablement jalonneront la prise en charge, tant au domicile qu’en institution.

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