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Frontière

Publié le 14 sep 2014Lecture 10 min

Démarche en équin

P. MARY, Service orthopédie, Hôpital Trousseau, Paris
L’apprentissage de la marche se fait entre 12 et 18 mois chez l’enfant, mais elle n’est bien évidemment pas la même que celle de l’adulte. Des adaptations se font durant toute la petite enfance et on peut considérer que la marche « adulte » est acquise vers l’âge de 7 ans. La démarche sur la pointe des pieds est très fréquente durant cette période. Dans la très grande majorité des cas, elle va progressivement disparaître. Devant cette petite anomalie, deux problèmes se posent au médecin qui doit s’assurer qu’elle n’est pas le signe d’une pathologie plus complexe et connaître l’évolution naturelle de la démarche en équin dite « idiopathique » et en proposer un traitement.
  Présentation clinique habituelle Les parents consultent pour leur enfant en raison d’une démarche en équin qui existe depuis l’acquisition de la marche, et qui ne se modifie pas. L’enfant lui-même ne se plaint de rien, reste actif, et est en bonne santé. Bien évidemment, durant la consultation, la marche se fait normalement, l’enfant se sachant observé. Il faudra détourner son attention pour voir apparaître cette démarche en équin.   Que rechercher durant cette première consultation ?   À l’interrogatoire Il est d’emblée orienté vers la recherche d’une pathologie neurologique ou orthopédique plus complexe. Il faut chercher à savoir si dans la famille, il n’y a pas eu de cas similaire, ou des maladies neurologiques de type myopathie, ou des neuropathies familiales. Il n’est pas exceptionnel de découvrir que plusieurs personnes ont eu une telle démarche dans l’enfance puis que les choses sont rentrées dans l’ordre. Les antécédents personnels de l’enfant sont également étudiés : souffrance anténatale ou postnatale, difficultés psychomotrices, retard de langage, troubles sphinctériens, etc. L’interrogatoire doit surtout faire bien préciser si cette anomalie existe depuis le début de la marche ou si elle est apparue secondairement. Dans ce cas, elle est hautement suspecte. L’examen clinique Comme nous l’avons déjà dit, lorsque l’on demande à l’enfant de marcher, dans la majorité des cas, il le fera sans se mettre en équin, ce qui est déjà très rassurant. On lui ordonne ensuite de se mettre franchement en équin, pour vérifier qu’il n’existe pas de nette asymétrie, puis de marcher sur les talons. Si cela est possible, alors, il est très probable qu’il n’existe pas de rétraction du triceps. Toutefois, il existe deux possibilités de compensation pour pouvoir marcher sur les talons avec une vraie rétraction tricipitale et il faut savoir les dépister : l’enfant peut se mettre en recurvatum au niveau des genoux ou fléchir le tronc en avant (figure 1). En position statique, on recherchera une inégalité de longueur des membres inférieurs, une anomalie des orteils, tout élément qui puisse faire suspecter une malformation orthopédique sur un des membres inférieurs. Enfin, on demandera à l’enfant de s’asseoir par terre puis de se relever sans se servir des membres supérieurs. S’il a besoin de pousser avec les mains sur les genoux pour en obtenir l’extension, c’est qu’il existe un déficit musculaire (manœuvre de Gowers). Figure 1. Les systèmes de compensation lors d’une véritable rétraction d’Achille.   • L’examen en décubitus Le premier temps est de vérifier qu’il existe une flexion dorsale de cheville supérieure à 10° en extension de genou. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il existe une véritable rétraction du triceps. Il est alors intéressant de savoir si cette rétraction porte sur les trois chefs de ce muscle ou non. Un petit rappel anatomique est nécessaire pour bien comprendre les choses. Le triceps est composé du muscle soléaire dont les insertions proximales se font sur le tibia essentiellement. Il s’agit d’un chef mono-articulaire, contrairement aux deux gastrocnémiens latéral et médial qui s’insèrent sur les coques condyliennes fémorales et sont donc des muscles bi-articulaires. Une manœuvre simple permet de faire la différence : si la flexion dorsale de la cheville est augmentée par la flexion du genou, alors c’est que la rétraction siège essentiellement sur les gastrocnémiens ; si elle n’est pas améliorée par cette manœuvre, alors les trois chefs sont rétractés (figure 2).   Figure 2. Examen clinique d’un équin. Il existe un défaut de flexion dorsale. A : en extension du genou, on teste les gastrocnémiens et le soléaire. B : en flexion de genou, les gastrocnémiens sont relâchés, on gagne de la flexion dorsale.   Cela aura une incidence sur un éventuel traitement. L’aspect global du pied est observé : un pied creux est suspect. Après avoir étudié la mobilité passive de la cheville, il faut s’intéresser à sa mobilité active et faire un testing musculaire rapide. La flexion plantaire est assurée par le triceps et les fléchisseurs des orteils (de manière plus accessoire). La flexion dorsale dépend du muscle tibial antérieur et des extenseurs des orteils. Le muscle varisant est le tibial postérieur et les valgisants ont les muscles fibulaires (figure 3).   Figure 3. Représentation schématique des différents muscles agissant sur la cheville.   On complétera l’examen par l’étude des réflexes ostéotendineux des membres inférieurs, leur abolition étant évocatrice de neuropathies, et par la recherche d’une spasticité (trépidation épileptoïde à la mise en tension brutale du triceps). Une fois terminée l’évaluation de cet équin, on s’attachera à examiner de manière plus globale l’enfant à la recherche de lésions cutanées évocatrices d’une pathologie particulière, d’un déficit neurologique et/ou intellectuel. Enfin, il faudra penser à examiner le rachis à la recherche d’une anomalie du raphé médian évocatrice de dysraphisme. Au terme de cette consultation, deux possibilités se présentent : – l’examen est strictement normal, tant sur le plan orthopédique que neurologique, la flexion dorsale atteint 10° : aucun examen complémentaire n’est nécessaire dans ce cas ; – dans le cas contraire, il faut poursuivre les explorations afin de découvrir une éventuelle étiologie en s’aidant, en fonction des cas, d’IRM cérébrale et/ou médullaire, d’un électromyogramme avec mesure des vitesses de conduction, d’un dosage des enzymesmusculaires et, si possible, d’un avis spécialisé en neuropédiatrie.   Quelles sont les pathologies à éliminer ? En 2011, Michel Robert(1) a publié un très intéressant article sur le sujet qui montrait que la démarche en équin était le motif de consultation en orthopédie pédiatrique quotidienne dans 11,8 % des cas. Cela représentait 133 patients. Dans 65 cas, il s’agissait d’un équin idiopathique. Les causes retrouvées sont par ordre de fréquence décroissante : – maladie de Sever (25) ; – troubles du spectre autistique (19 dont 9 connus) ; – paralysie cérébrale (15) ; – arthrite chronique juvénile (3) ; – myopathies (2) ; – trisomie 21 (1) ; – diastématomyélie (1). Nous insisterons sur les principales.   L’équin spastique de la paralysie cérébrale Il n’est pas exceptionnel de faire un diagnostic de paralysie cérébrale lors de la découverte d’une démarche en équin. Cela reste relativement simple à établir, car dans la plupart des cas, on retrouve dans l’histoire de l’enfant des éléments qui font suspecter une souffrance neurologique soit anténatale, soit postnatale. À l’examen clinique, il existe non seulement une rétraction du tendon d’Achille plus ou moins importante, mais aussi une spasticité (figure 4).   Figure 4. Marche en équin dans le cadre d’une paralysie cérébrale. On note également un flexum des genoux et des hanches, et une attitude particulière et figée des membres supérieurs durant la marche.   On retrouve alors souvent d’autres petites anomalies neuromusculaires comme une rétraction des ischiojambiers, des adducteurs de hanche. La recherche étiologique passe par la réalisation d’une IRM cérébrale et d’un avis spécialisé. Le but de cette démarche est surtout de s’assurer que le déficit neurologique est fixe et qu’il ne s’agit pas d’une maladie neurologique évolutive, ce qui est essentiel à préciser, tant pour le développement global de l’enfant que pour la prise en charge de ces anomalies orthopédiques. Ces enfants nécessitent un suivi spécialisé de manière à pouvoir tout au long de la croissance, les accompagner, en utilisant les différents moyens thérapeutiques dont nous disposons actuellement : rééducation, appareillage, toxine botulique, voire intervention chirurgicale.   Les myopathies  Ce sont des maladies évolutives dont il faut évoquer le diagnostic surtout si la démarche en équin apparaît secondairement. Il s’y associe une faiblesse musculaire (manœuvre de Gowers), avec une hypertrophie paradoxale des mollets. Le dosage sérique des enzymes musculaires confirme le diagnostic.   La maladie de Sever ou apophysite calcanéenne Dans ce cas, la douleur est au premier plan. Elle est de type mécanique, au niveau de l’insertion du tendon d’Achille sur le calcanéum, irradiant parfois à l’ensemble de la plante du pied (figure 5). Figure 5. La maladie de Sever se caractèrise par une douleur postérieure qui peut irradier à la plante du pied. La radiographie est normale ; l’aspect dense du noyau postérieur n’est pas un signe de maladie de Sever, il existe chez des enfants asymptomatiques.   Elle est due à la sursollicitation du cartilage de croissance qui existe à cet endroit. Elle survient entre 8 et 15 ans. Cliniquement, le triceps est court ; il existe parfois un valgus excessif de l’arrière-pied. Le traitement consiste à mettre au repos sportif l’enfant en s’aidant de petits moyens lors de la reprise pour éviter les douleurs : semelles amortissantes, talonnettes, antalgiques de palier I, anti-inflammatoires locaux.   Démarche en équin et troubles du spectre autistique (TSA) La démarche en équin y est fréquente. Les TSA se caractérisent par un déficit dans les interactions sociales, des troubles du langage ou de la communication associés à des comportements répétitifs, des intérêts restreints. Les signes qui aident au diagnostic et doivent faire demander un avis spécialisé sont : – des altérations dans l’acquisition des étapes du développement moteur ; – une maladresse ; – une incoordination motrice ; – des défauts de la motricité fine et globale ; – une altération du contrôle postural ; – des mouvements anormaux.   La démarche en équin dite « idiopathique » Le tableau typique est donc celui d’une démarche en équin bilatérale et symétrique, qui existe depuis l’acquisition de la marche et qui ne gêne en rien l’enfant, et pour laquelle nous n’avons rien trouvé de suspect lors de la consultation. Très peu d’auteurs se sont posés la question de l’évolution naturelle de cette anomalie. G. Taussig(2) a étudié 69 enfants consultant pour ce motif et jugé de l’évolution dans le temps. Il apparaît très clairement dans son travail que, dans la très grande majorité des cas, cette démarche disparaît vers l’âge de 8 ans. La disparition la plus tardive est survenue à l’âge de 14 ans (figure 6). Dans le même temps, il a suivi des enfants traités avec différents moyens (kinésithérapie, attelles, semelles orthopédiques, etc.). Il conclut à l’inefficacité de tous. Nous partageons cet avis. Figure 6. Évolution naturelle de la démarche en équin idiopathique (d’après G. Taussig(2)).     Conclusion   La démarche en équin est un motif fréquent de consultation qui impose un interrogatoire précis, un examen clinique orthopédique et neurologique complet à la recherche d’une étiologie. Dans la plupart des cas, tout est strictement normal et aucun examen complémentaire n’est nécessaire. Dans le cas contraire, un avis spécialisé est indiqué. On s’aidera, parfois, de l’IRM, d’un électromyogramme ou d’un dosage des enzymes musculaires. La démarche en équin idiopathique régresse spontanément dans l’immense majorité des cas, sans aucun traitement.

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