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Pathologie vasculaire

Publié le 20 avr 2010Lecture 11 min

Les dissections carotidiennes

C. LAMY, Hôpital Sainte-Anne, Paris
Les dissections des artères cervico-encéphaliques sont responsables d’environ 2 % des infarctus cérébraux ; elles constituent une des causes majeures d’infarctus de l’adulte jeune (25 % des infarctus des sujets de moins de 45 ans) (1,2). Elles peuvent être d’origine traumatique ou survenir de façon apparemment spontanée, parfois chez un patient ayant une artériopathie sous-jacente (3). Elles touchent beaucoup plus souvent les artères extracrâniennes que les artères intracrâniennes et le territoire carotidien que le territoire vertébro-basilaire. Leur physiopathogénie reste mal comprise.
Les dissections carotidiennes se traduisent typiquement par des signes locaux (céphalées, cervicalgies, syndrome de Claude-Bernard-Horner, acouphènes), suivis immédiatement ou avec un délai pouvant être de plusieurs semaines par des signes d’ischémie hémisphérique et/ou rétinienne dans le territoire de l’artère carotide interne disséquée. Il est donc essentiel de porter le diagnostic au stade des signes locaux. Il repose sur les explorations d’imagerie (ultrasons, imagerie par résonance magnétique ou angioscanner). L’évolution se fait le plus souvent vers la normalisation de la paroi artérielle ; les récidives sont rares. Bien que son bénéfice n’ait jamais été démontré, le traitement anticoagulant reste largement utilisé dans les dissections. Des essais randomisés comparant antiplaquettaires et anticoagulants sont indispensables pour préciser les indications thérapeutiques. Épidémiologie L’incidence annuelle des dissections carotides varie de 2 à 3 pour 100 000 dans les études de population récentes (4-6). Il s’agit vraisemblablement d’une estimation basse, ne prenant en compte ni les formes frustes, voire asymptomatiques, non diagnostiquées, ni les dissections intracrâniennes. Les dissections touchent les deux sexes, avec une légère prédominance masculine. Les dissections carotidiennes surviennent préférentiellement chez le sujet jeune, avec un pic vers 40-45 ans. Anatomie Les dissections des artères cervico- encéphaliques résultent du clivage de la paroi artérielle par un hématome d’étendue variable, communiquant parfois avec la lumière artérielle par une déchirure intimale (5,7). Une néolumière peut parfois se former, donnant un aspect de double chenal. Selon le siège de l’hématome dans la paroi artérielle, on distingue les dissections sous-intimales et sousadventicielles. Classiquement, les dissections de l’artère carotide interne (ACI) extracrânienne sont plus souvent sous-adventicielles, alors que les dissections de l’ACI intracrânienne sont à prédominance sous-intimale. En cas de dissection sous-intimale, l’hématome pariétal provoque une sténose ou une occlusion de la lumière artérielle qui peut avoir un retentissement hémodynamique et/ou se compliquer d’une thrombose intraluminale, plus ou moins extensive, source d’embolies distales. Dans le cas des dissections sous-adventicielles, la dilatation anévrismale de l’artère est parfois responsable d’une compression des structures avoisinantes. Enfin, dans certains cas de dissections intracrâniennes, une hémorragie méningée peut résulter de la rupture externe de la paroi artérielle. Au plan artériel, un caractère commun aux dissections est l’évolution dans le temps de la lésion, le plus souvent vers la normalisation (8). Séméiologie clinique  Les symptômes locaux les plus fréquents sont les douleurs observées dans 60 à 90 % des cas (5) et fréquemment inaugurales (60 à 70 % des cas). Il s’agit typiquement de céphalées fronto-orbitaires ou de cervicalgies latéralisées, inhabituelles, intenses, continues, rebelles aux antalgiques. Les céphalées sont parfois atypiques, en coup de tonnerre ou simulant une migraine ou une algie vasculaire de la face. Le signe de Claude- Bernard-Horner, caractérisé par un rétrécissement de la fente palpébrale, un myosis et une énophtalmie (figure 1) est présent dans 30 % à 50 % des cas. Il est dû à la compression du sympathique péricarotidien et peut persister longtemps après la dissection.  Figure 1. Signe de Claude-Bernard-Horner droit : rétrécissement de la fente palpébrale droite,  myosis, énophtalmie. Il est quasi pathognomonique du diagnostic de dissection carotide lorsqu’il est associé à une douleur ipsilatérale. Un acouphène pulsatile (transmission par le rocher d’un flux sanguin accéléré) est rapporté par environ 15 % des patients ; la fréquence de la paralysie des derniers nerfs crâniens, comprimés par l’hématome dans l’espace sous-parotidien postérieur, est évaluée à 15 %. Il peut s’agir d’une paralysie du XII (paralysie et amyotrophie d’une hémilangue avec déviation du côté paralysé lors de la protraction linguale), du IX et du X (dysarthrie, dysphonie et troubles de déglutition) et du XI (paralysie des muscles spinal et sterno-cléïdo-mastoïdien).  Ces signes locaux peuvent être suivis immédiatement ou après un délai pouvant aller jusqu’à plusieurs semaines par des signes d’ischémie cérébrale ou oculaire, présents dans 60 à 80 % des cas (5,7,9). Il s’agit d’accidents ischémiques transitoires dans 20 à 30 % des cas et d’accidents constitués dans 40 % à 60 %, de gravité variable allant d’un déficit mineur à un déficit sévère, voire au décès. L’ischémie est le plus souvent due à un mécanisme d’embolie artério-artérielle, plus rarement à un mécanisme hémodynamique en cas de sténose serrée ou de forme occlusive. La précession de ces signes d’ischémie par un traumatisme réalise une séquence hautement évocatrice du diagnostic (7). La présentation est parfois trompeuse, chacun des signes locaux ou des signes ischémiques pouvant résumer la symptomatologie. La présentation clinique des dissections de l’ACI intracrânienne et de ses branches demeure mal connue. Elles sont vraisemblablement plus fréquentes et moins sévères qu’on ne le pensait, pouvant se manifester par une céphalée aiguë, parfois en coup de tonnerre, précédant ou accompagnant un AVC (1,10). Diagnostic La visualisation de l’hématome de paroi permet seule d’affirmer le diagnostic de dissection. Les explorations ultrasonores (échographie- Doppler à l’étage cervical et Doppler transcrânien) sont très souvent réalisées en première intention, mais il est important de souligner qu’une échotomographie-Doppler normale ne permet pas d’éliminer le diagnostic de dissection. L’échographie peut objectiver des signes directs de dissection (visualisation de l’hématome mural (figure 2), image en double chenal). Figure 2. Image par écho-Doppler couleur en coupe longitudinale montrant une dissection de l’artère carotide interne gauche. Augmentation du calibre de l’artère contrastant avec la réduction de la lumière résiduelle par un hématome pariétal (flèches). Parfois, elles ne mettent en évidence que des signes indirects par vélocimétrie-Doppler qui traduisent un obstacle sur l’axe vasculaire. Le Doppler transcrânien renseigne sur le retentissement hémodynamique intracérébral (amortissement du flux de l’artère cérébrale moyenne). La visualisation de l’hématome de paroi permet seule d’affirmer le diagnostic de dissection.  L’IRM couplée à l’ARM cervicale est l’examen de choix pour affirmer la dissection. Elle permet de visualiser, sur les coupes axiales cervicales en pondération T1 avec saturation de graisse (Fat-Sat), l’hématome pariétal, pathognomonique du diagnostic (hypersignal en croissant, entourant la lumière résiduelle excentrée, apparaissant en hyposignal, avec élargissement du calibre externe de l’artère) (figure 2). Il existe des faux négatifs, notamment lorsque l’hématome est très localisé ou l’examen trop précoce. En cas de forme occlusive de dissection, il peut être difficile de distinguer l’hématome pariétal d’un thrombus intraluminal. L’angio-RM cervicale injectée permet de visualiser les vaisseaux de façon longitudinale. L’existence d’une sténose longue, irrégulière, débutant habituellement en aval du bulbe carotidien et se prolongeant jusqu’au segment sous-pétreux de l’ACI (figure 3) est évocatrice du diagnostic. L’aspect en double lumière est très spécifique mais rare, alors que les formes occlusives sont fréquentes mais peu spécifiques (y compris l’aspect d’occlusion en flamme de bougie qui peut s’observer en cas d’occlusion embolique avec thrombus rétrograde). Les anévrismes sont parfois visibles dès la phase aiguë, parfois de façon retardée quelques semaines plus tard ; ils siègent souvent sur le segment sous-pétreux de l’ACI.  L’angioscanner avec injection de produit de contraste est une alternative à l’IRM. Le recours à l’angiographie conventionnelle est rarement nécessaire aujourd’hui. L’IRM encéphalique permet de visualiser les lésions ischémiques et les séquences d’angio-RM centrées sur le polygone de Willis et d’apprécier le retentissement intracrânien de la dissection (diminution du signal sur l’artère cérébrale moyenne homolatérale) (1,11). Cause et facteurs de risque Malgré de nombreuses études, l’étiopathogénie des dissections reste mal connue. Des facteurs traumatiques et infectieux sont fréquemment invoqués dans la survenue des dissections, mais ils paraissent le plus souvent mineurs ou trop banals pour expliquer à eux seuls le clivage de la paroi artérielle(3,8). Figure 3. Dissection carotide gauche. A : IRM, séquences T1 axiales avec saturation de graisse. Hématome en hypersignal de la paroi de l’artère carotide interne gauche (flèche), excentré. Lumière résiduelle en hyposignal, augmentation du calibre externe de l’artère. B : ARM cervicale avec injection de gadolinium. Sténose serrée de la carotide interne gauche sus-bulbaire. Les dissections cervicales sont habituellement classées en « traumatiques » et « spontanées ». Cette distinction paraît licite lorsque le traumatisme est franc (accident de la voie publique, traumatisme sportif violent, strangulation, manipulations cervicales). Cependant, très souvent, des dissections sont rapportées au cours de traumatismes mineurs, voire d’activités anodines de la vie courante impliquant des mouvements brusques ou forcés de l’extrémité céphalique : appels téléphoniques prolongés par exemple ou réalisation d’un créneau automobile. L’hypothèse d’une vasculopathie sous-jacente prédisposant aux dissections repose sur la mise en évidence dans certains cas d’une artériopathie associée (telle qu’une dysplasie fibromusculaire), de maladies héréditaires du tissu conjonctif (telles que le syndrome de Marfan ou le syndrome d’Ehler-Danlos de type IV), d’anomalies morphologiques vasculaires et cardiaques et l’existence de rares formes familiales de dissection. On peut envisager que la conjonction d’un terrain favorisant et d’un facteur environnemental précipite la déchirure intimale. Cette hypothèse n’explique pas, toutefois, l’absence habituelle de récidive. Diverses études cas-témoins, aux résultats souvent contradictoires, ont montré une association statistique entre les dissections et certaines affections ou certains paramètres biologiques, tels que la migraine ou l’hyperhomocystéinémie. Les mécanismes sont inconnus et l’existence d’une véritable relation causale incertaine (12). Pronostic Le pronostic à court terme des dissections carotidiennes dépend avant tout de la présence d’un infarctus cérébral et de sa sévérité. Le délai entre la constitution de la dissection et la survenue d’un infarctus cérébral est variable, allant de quelques minutes à un mois. Les complications ischémiques surviennent, toutefois, le plus souvent dans la première semaine. L’évolution de la lésion artérielle se fait le plus souvent vers la normalisation. Dans les formes sténosantes ou occlusives de dissection, il persiste, dans environ un tiers des cas, des irrégularités pariétales. Un anévrisme séquellaire peut persister ; il ne semble pas associé à un risque d’embolie ultérieure et ne justifie donc pas d’intervention (13,14). L’évolution de la lésion artérielle se fait le plus souvent vers la normalisation. Le pronostic à long terme est bon, le taux de récidives étant très faible (< 1 % par an) chez les patients n’ayant pas de maladie caractérisée du tissu conjonctif(15). Traitement L’hospitalisation en urgence, de préférence en unité neurovasculaire, d’un patient ayant une dissection récente compliquée d’AIT ou d’infarctus est impérative. La thrombolyse peut être utilisée et ne paraît pas comporter de risque particulier (16). Bien que leur efficacité n’ait jamais été démontrée par une étude randomisée, les anticoagulants sont encore largement utilisés à la phase aiguë d’une dissection carotidienne sous forme d’héparine non fractionnée ou de bas poids moléculaire, relayée par des anticoagulants oraux. Cette attitude est basée sur le fait que la majorité des infarctus semble résulter d’un mécanisme thromboembolique plutôt que d’un mécanisme hémodynamique (7). Toutefois, aucune donnée ne permet actuellement de conclure à une supériorité des anticoagulants par rapport à l’aspirine dans cette situation (16-18). L’aspirine est à privilégier en cas d’infarctus étendu, de signes locaux purs, de dissection vue au-delà d’un mois ou de dissection intracrânienne (1,17). La place du traitement chirurgical est quasi inexistante et la place des traitements interventionnels (angioplastie-stenting) à la phase aiguë reste à déterminer. À distance de la phase aiguë, le traitement anticoagulant est habituellement relayé par un traitement antiplaquettaire (aspirine le plus souvent) pour une durée très variable allant de quelques semaines à quelques années, voire au long cours. La décision de poursuivre ou d’arrêter ce traitement est généralement basée sur la persistance ou non d’anomalies artérielles. Le bénéfice d’une telle attitude reste, là aussi, à démontrer.  

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