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Pathologie vasculaire

Publié le 20 déc 2010Lecture 15 min

Dissections carotidiennes extracrâniennes : du diagnostic aux traitements

F. BUFFON*, M. ARNOLD**, *Service de Neurologie et urgences neurovasculaires, Hôpital Lariboisière, Paris, **Service de Neurologie, Hôpital Universitaire de Berne (Suisse)
Les dissections des artères cervico-encéphaliques sont à l’origine de 2 % des accidents vasculaires cérébraux et d’environ 20 % des infarctus cérébraux des sujets de moins de 45 ans. Elles peuvent être multiples dans 15 à 20 % des cas et touchent le segment cervical extracrânien des artères cervico-encéphaliques dans plus de 90 % des cas. Les dissections carotidiennes sont 4 fois plus fréquentes que les dissections des artères vertébrales et ont une incidence annuelle de 3/100 000 habitants/an (1,2). Nous ne traiterons ici que des dissections extracrâniennes de la carotide interne, les dissections intracrâniennes étant plus rares, de diagnostic difficile, et d’évolution et de pronostic plus complexes.
La dissection de l'artère carotide interne (DACI) est caractérisée par un hématome au sein de la paroi artérielle, soit de siège sous-intimal réduisant ainsi la lumière artérielle, soit sous-adventitielle, alors responsable d’une dilatation anévrysmale de l’artère ou d’un anévrysme disséquant. Le plus souvent l’hématome est localisé 1 à 2 cm au-dessus du bulbe carotidien et peut s’étendre jusqu’au canal carotidien voire jusqu’au segment pétreux ou en intracrânien. Plus rarement, il peut être limité à un segment artériel réduit comme la région sous-pétreuse (3). Étiologie L’origine des dissections artérielles reste le plus souvent inconnue. Elles résultent probablement de la combinaison de facteurs intrinsèques tels qu’une fragilité sous-jacente de la paroi artérielle et de facteurs déclenchants extrinsèques comme un traumatisme, même mineur, des mouvements inhabituels du cou ou une infection notamment au niveau des voies aérodigestives supérieures (4). En l’absence de facteur déclenchant clairement identifié, on parle de dissection spontanée. Des dissections spontanées multiples doivent faire rechercher une pathologie de la paroi artérielle sous-jacente. Il n’est pas rare que les dissections artérielles cervico-encéphaliques soient associées à des tortuosités vasculaires, dysplasie fibromusculaire, anévrysmes intracrâniens ou dilatation de l’aorte initiale. Par ailleurs, certaines pathologies génétiques du tissu conjonctif comme un déficit en a1 antitrypsine, les syndromes de Marfan et d’Ehlers-Danlos type IV, la polykystose rénale autosomique dominante ou l’ostéogenèse imparfaite de type I augmentent le risque de dissection artérielle. Le plus souvent, le type exact d’artériopathie reste cependant inconnu (3). Diagnostic Présentation clinique   Signes locaux Ils sont présents dans plus de 85 % des cas et sont liés à la compression locale des structures adjacentes par la carotide disséquée ou à l’ischémie de certaines structures vascularisées par la carotide. Ils peuvent être isolés, accompagner ou précéder les signes d’ischémie cérébrale ou rétinienne. Ils sont dominés par des douleurs, principalement des cervicalgies, des céphalées ou des algies faciales souvent latéralisées du côté de la DACI (75 % des cas). Ces douleurs n’ont pas de caractéristiques spécifiques, mais leur caractère récent et persistant, inhabituel, d’installation brutale ou rapidement progressive doit faire évoquer le diagnostic. Elles cèdent en général en moins d’un mois. Leur association à un syndrome de Claude Bernard-Horner homolatéral, lié à l’atteinte des fibres sympathiques cervicales péricarotidiennes, est quasi-pathognomonique de DACI homolatérale. Ce signe est présent dans plus de 50 % des cas. Des acouphènes, le plus souvent pulsatiles et unilatéraux, en rapport avec la sténose de la lumière artérielle, sont également décrits par moins d’un quart des patients. Plus rarement (5-10 % des cas), une paralysie de nerfs crâniens (V, XII, IX, X, XI, VII) homolatéraux à l’artère disséquée est possible (1).   Signes ischémiques Des symptômes en rapport avec une ischémie cérébrale ou rétinienne sont rapportés dans 50 à 90 % des cas. Une DACI, réalisant une occlusion ou une sténose serrée > 80 %, est davantage susceptible d’entraîner des complication ischémiques d’aval (5). Elles peuvent être soit d’origine hémodynamique, en rapport avec une sténose serrée carotidienne en amont, soit plus fréquemment d’origine embolique. Il n’est pas rare qu’un infarctus cérébral ou rétinien soit précédé par l’apparition de signes locaux voire de signes d’ischémie transitoire (accident ischémique transitoire, cécité monoculaire transitoire [CMT]). À ce stade, la mise en route d’un traitement antithrombotique et de précautions hémodynamiques peut permettre d’éviter une ischémie constituée. La plupart des infarctus cérébraux sont localisés dans le territoire de l’artère sylvienne et surviennent au cours de la première semaine suivant l’apparition de signes locaux. Des infarctus tardifs survenant plus d’un mois après la survenue de signes locaux sont extrêmement rares (6). Une CMT homolatérale à la lésion carotidienne est fréquemment un signe d’alerte d’infarctus cérébral, mais une cécité persistante, liée à l’occlusion de l’artère centrale de la rétine ou une ischémie du nerf optique, est exceptionnelle (7). Des symptômes en rapport avec une ischémie cérébrale ou rétinienne sont rapportés dans 50 à 90 % des cas. Examens complémentaires Le diagnostic de DACI est parfois difficile et repose sur différentes techniques d’imagerie qu’il faut parfois associer. Ces examens doivent être réalisés en urgence dès que le diagnostic est évoqué.   L’imagerie par résonance magnétique (IRM) L’IRM est actuellement l’examen de choix, à condition de réaliser des coupes cervicales pondérées T1 avec saturation de graisse (Fat Sat), en plus des séquences classiques cérébrales (séquences FLAIR, diffusion, ARM 3D-TOF du polygone de Willis). Ces coupes permettent dans la plupart des cas de visualiser l’hématome de paroi en coupe transversale, au niveau de l’artère carotide, sous la forme d’un croissant en hypersignal intrapariétal, réduisant la lumière artérielle, associé à un élargissement du calibre externe de l’artère (figure 1A). Des faux négatifs peuvent exister si les coupes pondérées T1 Fat Sat ont été réalisées très précocement, moins de 5 jours après la survenue de la DACI, car l’hématome de paroi peut alors ne pas être visible ou apparaître en isosignal. En cas de forte suspicion clinique, il ne faut alors pas hésiter à reproduire l’examen après un délai de quelques jours et à le compléter par d’autres techniques. L’IRM est actuellement l’examen de choix.   L’angiographie par résonance magnétique (ARM) avec injection de gadolinium des vaisseaux du cou est également très utile car elle permet de visualiser la sténose carotidienne, le plus souvent de localisation sus-bulbaire. Un aspect d’occlusion ou de sténose serrée en « flamme de bougie » ou la mise en évidence d’un anévrysme est très évocateur de DACI (figure 1B). L’IRM avec ARM permet aussi de rechercher d’autres dissections asymptomatiques ou anciennes sur d’autres artères et de rechercher des irrégularités de calibres des artères ou des tortuosités vasculaires suggérant l’existence d’une pathologie artérielle sous-jacente (dysplasie fibromusculaire, par exemple).   Figure 1. Infarctus sylvien droit chez un patient présentant une double dissection carotidienne. A : IRM en coupe axiale T1 Fat Sat  : hématome de paroi de la carotide interne gauche (flèche b) et occlusion carotidienne droite (flèche a). B : ARM cervicale : occlusion post-bulbaire de l’artère carotide interne droite (flèche a) et sténose longue sous-pétreuse de la carotide interne gauche. C : Séquence de diffusion : infarctus sylvien droit récent en hypersignal. D : occlusion de la carotide interne droite avec un flux d’aval amorti sur l’artère sylvienne (flèche a).   L’échoDoppler des vaisseaux du cou et transcrânien Cet examen est probablement le plus accessible en pratique courante dans l’urgence, mais sa normalité ne permet pas d’éliminer formellement le diagnostic. Le pourcentage de faux négatifs peut s’élever à plus de 30 % dans les cas les moins sévères de DACI, révélés par un syndrome de Claude Bernard-Horner douloureux isolé (8). En dehors de ce cas de figure particulier, cette technique, dont la rentabilité dépend beaucoup de l’expérience de l’opérateur, peut permettre de montrer dans un tiers des cas des anomalies spécifiques telles que l’hématome de paroi et l’élargissement de calibre externe de l’artère, voire le flap intimal (figure 2).   Figure 2. DACI sus-bulbaire en échoDoppler des vaisseaux du cou. Les flèches désignent l’hématome de paroi, hypoéchogène, responsable d’une sténose de la lumière carotidienne et d’un élargissement du calibre externe de l’artère. Le Doppler couleur met en évidence le flux artériel au niveau de la lumière résiduelle. L’hématome peut ne pas être visible à l’échographie, notamment en cas de DACI haut située ou de difficultés techniques liés à la morphologie du patient (cou court). Dans près de 90 % des cas, sont retrouvées des anomalies non spécifiques du flux en rapport avec la sténose ou l’occlusion carotidienne. La réalisation du Doppler transcrânien permet d’apprécier le retentissement hémodynamique intracrânien de la DACI, dont les conséquences pronostiques et thérapeutiques peuvent être importantes.   Angioscanner des vaisseaux du cou et intracrânien Il est plus rarement pratiqué dans cette indication. Il présente l’inconvénient de nécessiter l’injection de fortes doses d’iode, mais peut-être utile si l’IRM n’est pas disponible en urgence ou en cas de contre-indication à celle-ci. Comme l’ARM des vaisseaux du cou, il peut permettre de mettre en évidence l’occlusion ou la sténose carotidienne. Les coupes axiales peuvent aussi parfois montrer un élargissement de calibre externe de l’artère, associé à la réduction de la lumière artérielle au niveau de la dissection.   Artériographie cérébrale Autrefois examen de référence, l’Artériographie cérébrale est de plus en plus rarement pratiquée dans cette indication. Elle peut l’être en cas de difficulté diagnostique malgré la réalisation des examens non invasifs sus-cités ou en cas de suspicion de dissection intracrânienne ou en urgence avant un éventuel geste de revascularisation endovasculaire. Les trois aspects évocateurs de DACI extracrânienne sont l’occlusion sus-bulbaire avec un aspect en « flamme de bougie », la sténose longue et irrégulière et l’anévrysme. Exceptionnellement, un flap intimal ou un double chenal peuvent être mis en évidence. Elle permet également de rechercher des signes de dysplasie fibromusculaire sur les autres axes et éventuellement d’explorer les artères rénales (figure 3).   Figure 3. DACI gauche sus-bulbaire. A : artériographie cérébrale : sténose longue hyperserrée de l’artère carotide interne gauche (flèche), avec un retentissement hémodynamique très sévère en aval. B : séquence de diffusion, hypersignaux ponctiformes frontaux gauches, en rapport avec des infarctus récents jonctionnels, entre les territoires de l’artère sylvienne et de l’artère cérébrale antérieure gauches. Traitements Mesures hémodynamiques Il s’agit d’une urgence thérapeutique. En cas de lésions ischémiques cérébrales d’allure hémodynamique et/ou de sténose carotidienne serrée à l’origine d’un retentissement hémodynamique intracrânien à l’échoDoppler, le patient doit être maintenu en décubitus, à plat strict avec un lever très progressif en quelques jours. Si le patient est acheminé en USINV dans les 3 heures une thrombolyse intraveineuse (IV) par rtPA ne semble pas contre-indiquée. Thrombolyse intraveineuse Si le patient est acheminé en unité de soins intensifs neurovasculaires (USINV) dans les 3 heures suivant le début des symptômes déficitaires ischémiques, une thrombolyse intraveineuse (IV) par rtPA ne semble pas contre-indiquée, sauf s’il existe un doute sur une éventuelle extension intracrânienne de la dissection qui majore le risque d’hémorragie. L’analyse de séries rétrospectives d’une cinquantaine de patients thrombolysés IV avec des DACI ne met pas en évidence d’extension de l’hématome de paroi au niveau de l’artère disséquée, ni de complications particulières à cette pathologie (9-11). Traitement antithrombotique Aucun essai randomisé n’a évalué les différents agents antithrombotiques à la phase aiguë d’une DACI. Les options thérapeutiques actuelles sont les antiagrégants plaquettaires et les anticoagulants. De façon consensuelle, en l’absence de contre-indication essentiellement liée à la taille de l’infarctus cérébral, la plupart des équipes proposent un traitement anticoagulant par héparine (non fractionnée ou de bas poids moléculaire), avec un relais dès que possible par antivitamine K (AVK) (INR cible entre 2 et 3). La durée du traitement est en général de 3 voire 6 mois selon l’évolution du tableau clinique et des lésions artérielles. S’il persiste à distance sur les examens de contrôle des irrégularités de calibre de l’artère carotide interne, un anévrysme post-disséquant ou des lésions artérielles associées, notamment athéromateuses, des antiagrégants plaquettaires (aspirine 75-300 mg/j ou clopidogrel 7  mg/j, ou association aspirine-dipyridamole 50/400 mg/j) sont prescrits en relais pendant quelques mois, voire au long cours. Actuellement, les antiagrégants plaquettaires sont proposés d’emblée en cas de contre-indication aux anticoagulants et, par certaines équipes, en cas de DACI révélée uniquement par des signes locaux isolés, en l’absence de sténose serrée de la carotide et de retentissement hémodynamique. Traitement endovasculaire Les manœuvres endovasculaires (angioplastie, stenting) ne doivent être actuellement envisagées qu’en cas de récidive ischémique (aggravation neurologique progressive ou fluctuations cliniques) sur sténose serrée carotidienne malgré un traitement médical optimal. L’intérêt de la thrombolyse intra-artérielle assistée d’une angioplastie-stenting de la carotide disséquée dans les 3 heures suivant l’apparition des symptômes ischémiques a été rapporté dans quelques cas d’occlusion en T de la terminaison carotide associée à un déficit neurologique d’emblée sévère (12). D’autres études sont cependant nécessaires pour évaluer le rapport bénéfice/risque de ces procédures, à court, moyen et long terme. Les manœuvres endovasculaires ne doivent être actuellement envisagées qu’en cas de récidive ischémique. Évolution et suivi Pronostic Le pronostic à court terme dépend de l’existence ou non d’un infarctus cérébral et de sa sévérité. Le pronostic à moyen et long terme est globalement favorable avec 70 à 90 % de récupération sans séquelles malgré un taux de décès de 2 à 5 %1. Les récidives ischémiques sont rares après la phase initiale. Les récidives de dissection peuvent survenir dans le même vaisseau ou dans une autre artère cervicale, mais sont rares (< 1 % par an) (13). Les facteurs de risques de récidive de dissection ne sont pas clairement identifiés et sont probablement liés à la pathologie artérielle sous-jacente. On peut observer dans le suivi par IRM ou échoDoppler la reperméabilisation de l’artère carotide interne en quelques semaines ou quelques mois dans 80 à 90 % des formes sténosantes et environ 50 % des formes occlusives (14). La persistance d’une occlusion ou d’une sténose semble indépendante du type de traitement antithrombotique proposé à la phase initiale. Le taux annuel d’infarctus cérébral dans le territoire de la carotide lésée est < 1 %15. Dès la phase aiguë ou au cours du suivi, des anévrysmes sont mis en évidence en imagerie chez 5 à 50 % des patients selon les séries. La taille des anévrysmes séquellaires reste stable ou se réduit dans la plupart des cas. Le risque de rupture de ces anévrysmes extracrâniens semble négligeable et le risque embolique à partir du sac anévrysmal est mal connu, mais paraît extrêmement faible (16,17). Aussi, le traitement chirurgical ou endovasculaire de tels anévrysmes sera-t-il réservé aux rares cas de manifestations ischémiques cérébrales récidivantes malgré un traitement antithrombotique bien conduit. Surveillance Un suivi clinique et radiologique régulier est souhaitable surtout la première année suivant la DACI. La périodicité du suivi en imagerie est à adapter à chaque patient. Il est classique de réaliser à 3 mois une IRM/ARM avec des coupes cervicales T1 Fat Sat, si possible couplée à un échoDoppler des vaisseaux du cou et transcrânien. Ces explorations permettront le plus souvent d’adapter le traitement et d’arrêter les anticoagulants. Si des anomalies persistent sur ces examens, elles pourront être recontrôlées à distance. Nous tenons à remercier le Dr Katayoun Vahedi et le Pr Marie-Germaine Bousser (hôpital Lariboisière, Paris) pour leur aide lors de la rédaction de cet article   Points essentiels • La DACI constitue une cause importante d’infarctus cérébral, surtout chez le sujet jeune. • Des céphalées, douleurs faciales ou cervicalgies unilatérales inhabituelles, récentes, accompagnées d’un syndrome de Claude Bernard-Horner homolatéral ou d’acouphènes pulsatiles ou d’une cécité monoculaire transitoire doivent faire évoquer une DACI et doivent conduire à des investigations adaptées en urgence pour éviter la constitution d’un infarctus cérébral. • Le diagnostic peut être posé dans la plupart des cas par une IRM avec des coupes cervicales pondérées en T1 Fat Sat, avec ARM cervicale. • Le traitement des DACI extracrâniennes repose par consensus sur les anticoagulants (en l’absence de contre-indications) prescrits pour une durée limitée de 3 à 6 mois, parfois relayés par un traitement antiagrégant plaquettaire au long cours. • Le pronostic à moyen et long terme est favorable avec un taux de récidive très faible. Les anévrysmes post-disséquants sont fréquents, mais se compliquent exceptionnellement.

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