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Alzheimer et Démences

Publié le 20 déc 2010Lecture 16 min

Diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer : quels enjeux, quels moyens ?

P. VERSTICHEL, Centre Hospitalier Intercommunal, Créteil
Un des moyens de réduire le fardeau humain, social et financier de la maladie d’Alzheimer (MA) passe peut-être par un diagnostic précoce permettant la mise en route de traitements adéquats. Un impact sur l’incidence de la maladie pourrait alors être espéré, alors que l’estimation épidémiologique de la MA fait craindre une explosion des cas recensés d’abord dans les pays industrialisés puis dans les pays émergents. Le diagnostic précoce repose à ce jour sur l’utilisation de tests neuropsychologiques simples et étalonnés, qui viennent étayer l’impression clinique de praticiens expérimentés.
Infléchir l’épidémiologie de la maladie d’Alzheimer À partir des derniers recensements de population et de la prévalence des démences par tranches d’âge dans les études épidémiologiques de grande envergure, telle l’étude PAQUID en France, on évalue à 500 000 le nombre de déments dans notre pays, dont 70 % sont des maladies d’Alzheimer. L’incidence des démences serait d’environ 100 000 nouveaux cas par an. Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé estime quant à lui à 855 663 le nombre des déments de plus de 65 ans avec 225 263 nouveaux cas en 2004. Le diagnostic précoce à grande échelle de la maladie d’Alzheimer n’a d’intérêt que s’il est suivi de mesures thérapeutiques permettant d’améliorer les patients et/ou de retarder l’évolution de la maladie. Le coût humain et financier de la MA croissant avec l’aggravation de la maladie et particulièrement dès lors qu’une institutionnalisation s’impose, l’objectif premier du diagnostic précoce est le maintien du patient le plus longtemps possible dans le meilleur état cognitif, psychologique et fonctionnel, et au mieux dans son environnement habituel. Un autre objectif, une fois le diagnostic posé, est de mettre en œuvre différentes mesures, notamment éducatives à l’endroit de l’entourage, pour éviter ultérieurement les situations de crise. Des projections statistiques, qui peuvent d’ailleurs être discutées, estiment que si, après 50 ans, on retardait le début de la maladie, on diminuerait la prévalence de celle-ci de 25 % (Brookmeyer et al., 1998). Si on parvenait à retarder les premiers symptômes de la démence de 5 ans, il y aurait deux fois moins d’Alzheimer au bout de 10 ans. Certains patients en effet, dans le laps de temps qui leur reste à vivre, seraient maintenus par le traitement à des stades peu évolués de la maladie, voire dans des états prédémentiels, et ne franchiraient pas le cap de la démence et du handicap. La question est de savoir si nous disposons actuellement de thérapeutiques suffisamment efficaces pour permettre d’approcher de tels chiffres. Les seuls médicaments ayant l’indication du traitement des formes légères de maladie d’Alzheimer sont les anticholinestérasiques. Pour ne parler que de leur effet sur le déclin fonctionnel, on peut admettre qu’ils ralentissent en moyenne le cours évolutif de la maladie de quelques mois (cinq ou six) pour un traitement administré pendant un an. Malgré la polémique soulevée par des résultats défavorables (Courtney et al., 2004), il reste probable, si l’on tient compte des résultats obtenus avec le donépézil, que le coût moyen est diminué en cas de traitement et que l’institutionnalisation est retardée (Fillit, 2005). Ceci pour des patients atteints de MA modérée à sévère. Le bénéfice qui serait obtenu en traitant très tôt des MA débutantes, voire des états prédémentiels, est à ce jour incertain. En l’absence de preuve définitive dans ce sens, nous présumerons qu’il est néanmoins licite de diagnostiquer au plus tôt la maladie d’Alzheimer.   Si on parvenait à retarder les premiers symptômes de la démence de 5 ans, il y aurait deux fois moins d’Alzheimer au bout de 10 ans   Dépistage ou diagnostic précoce ? Il y a une différence au moins théorique entre ces deux procédures. Le diagnostic précoce vise à établir un diagnostic de MA grâce à la mesure des différentes fonctions cognitives et à l’évaluation des perturbations psycho-comportementales et de l’autonomie. Le dépistage a pour but de sélectionner dans une large population (par exemple des personnes âgées ayant une plainte mnésique) les sujets qui présentent un risque d’évoluer vers une MA. Ce groupe à risque n’est pas composé exclusivement de patients déments. Les sujets dépistés font l’objet dans un second temps d’une évaluation diagnostique qui aboutit ou non au diagnostic de MA débutante. La distinction théorique diagnostic précoce/dépistage n’est cependant pas absolue, et pour des raisons de temps, de disponibilité du médecin et du patient, d’accès limité à des évaluations cognitives complètes par des neuropsychologues, les tests ayant vocation de dépistage sont volontiers utilisés en consultation de neurologie pour le diagnostic précoce de MA. Dans le cas du déficit cognitif léger (mild cognitive impairment), dépistage et diagnostic précoce se confondent du fait de l’imprécision nosologique de cet état : MA débutante, il s’agit d’un diagnostic précoce ; situation à risque d’évoluer vers une MA (transformation à hauteur de 15 % par an), on fait alors du dépistage ou encore une prédiction. Les instruments du diagnostic précoce La clinique reine Les symptômes neurologiques de la MA sont corrélés au développement et à l’extension géographique des dégénérescences neurofibrillaires (DNF) (Figure 1).         Figure 1. Extension des dégénérescences neurofibrillaires au cours de la MA (stades 3, 6, 8, 9 de Braak et Braak) et courbe de diminutiondu MMSE avec évolution de symptômes cliniques (d’après Feldman et Grundman, 1999). L’instrument essentiel du diagnostic est l’évaluation clinique. Celle-ci trouve ses limites naturelles dans la précocité même du diagnostic. Cependant en l’absence à ce jour d’examen complémentaire capable de porter en routine le diagnostic au stade infraclinique, les tests neuropsychologiques restent maîtres de la démarche. En France l’ANAES (2000) recommande, en consultation, de réaliser un MMSE, un test de l’horloge et une évaluation rapide du retentissement sur les activités de vie quotidienne par l’échelle IADL à 4 items. Précisons que, pour de multiples raisons, le MMSE est un mauvais test diagnostique ; il est, en revanche, intéressant pour suivre l’évolution des symptômes cognitifs. Dans la mesure où les anomalies anatomo-pathologiques débutent dans les régions hippocampo-para-hippocampiques, l’altération de la mémoire épisodique est un symptôme inaugural dont l’intérêt est évident dans le diagnostic précoce. La mémoire épisodique est habituellement appréciée par des tests d’apprentissage de mots, avec rappel immédiat et différé, et aide par des indices sémantiques. La procédure de Gröber et Buschke est l’examen de référence, mais elle est assez longue (16 items à mémoriser) et difficile à implémenter par le clinicien sans une formation spécifique. Pour en augmenter la sensibilité, il a été proposé des apprentissages de liste plus longue (48 mots dans le RI48 Test, Ivanoiu et al., 2005). Le test des 5 mots de Dubois et al. (2002) s’inspire du même principe, mais est plus court à faire passer. En effet, l’un des objectifs des tests de mémoire épisodique est de distinguer ce qui revient à une perturbation de l’acquisition (encodage des informations), de ce qui relève d’une défaillance de la restitution (rappel des informations). Dans le cas de la MA, où les troubles de l’acquisition sont en relation avec le dysfonctionnement des structures hippocampiques, il n’y a pas de facilitation de la récupération des items lorsqu’on fournit l’indice sémantique. L’indiçage sémantique est corrélé au métabolisme hippocampo-para-hippocampique (Lekeu et al., 2003). Les déficits de restitution peuvent être dûs à des anomalies attentionnelles, par exemple dans le cas des syndromes frontaux, des dépressions, etc. Contrairement au cas précédent, il y a alors une amélioration significative du rappel lorsqu’on fournit l’indice sémantique. La rétention d’une histoire est un autre moyen d’étudier la mémoire épisodique. Un certain nombre d’autres test cliniques, simples à réaliser en routine en consultation ou au lit du malade, ont une bonne sensibilité pour détecter les démences débutantes. Elles n’explorent cependant pas la mémoire épisodique, mais le plus souvent des capacités stratégiques qui sont très tôt mises à mal dans les MA du fait de la précocité de l’atteinte frontale. Le test de l’horloge, qui implique en outre des aptitudes visuo-spatiales, et la fluence verbale, qui met aussi en jeu des compétences linguistiques, en sont des exemples. Toutefois, mis à part les épreuves qui explorent la mémoire épisodique et qui peuvent prétendre à une certaine spécificité, il ne peut être question de porter le diagnostic de MA en constatant des échecs isolément au test de l’horloge, de fluence, ou à d’autres encore (dénomination, code, etc). Ils ont en commun un manque de spécificité à la fois pour le domaine cognitif qu’ils cherchent à mesurer et pour la pathologie qu’ils veulent diagnostiquer. Le fait de les associer en batteries plus ou moins étoffées tend à améliorer la sensibilité davantage que la spécificité. L’expérience du clinicien qui exploite au mieux l’histoire clinique, et le recours à des évaluations plus poussées sont autant de garanties pour un diagnostic précis et sans excès. Diagnostiquer tôt une MA ne signifie pas faire un tel diagnostic à tout prix, et mieux vaut en cas de doute réévaluer la situation à distance.   Les examens paracliniques   L’IRM Elle permet de visualiser les formations hippocampiques et se trouve donc toute indiquée pour participer à la démarche diagnostique précoce (Figure 2).     Figure 2. IRM séquence pondérée T1, coupe coronale perpendiculaire au grand axe des hippocampes, permettant de détecter l’atrophie hippocampique du stade initial de la MA. L’atrophie modeste de l’hippocampe est parfois malaisée à apprécier sur les coupes coronales perpendiculaires au grand axe des hippocampes. Les études volumétriques ont un grand intérêt pour repérer l’atrophie de l’hippocampe et mieux encore du cortex entorhinal, mais cette technique n’est pas de pratique courante. L’étude de l’atrophie néocorticale (Figure 3) par comparaison avec des sujets sains, grâce à des reconstitutions tridimensionnelles, détecte des anomalies très tôt dans la maladie, même à un stade pré-démentiel ; elle fait l’objet de protocoles de recherche (Baron et al., 2001).       Figure 3. Grâce à des techniques très précises d’analyse des données IRM, il est possible de définir les zones néocorticales les plus atrophiques chez les patients MA par rapport aux sujets sains. On voit ici en rouge les zones les plus touchées par l’atrophie dans des MA modérées, par comparaison avec des sujets sains. Ces aires atrophiques sont projetées sur un cerveau normal reconstruit en trois dimensions (Baron et al., 2001). Au cours du MCI, une telle analyse montre une perte de substance grise exactement dans les mêmes régions, mais moins importante, ce qui justifie l’idée d’un continuum entre MCI et démence de type Alzheimer. La spectroscopie IRM détecte précocement des anomalies biochimiques dans des régions sélectionnées. Il s’agit dans la MA d’une baisse du N-acétyl-aspartate dans le lobe temporal, reflétant la perte neuronale, et d’une élévation du myoinositol et de la créatinine. L’IRM fonctionnelle est réservée à des protocoles de recherche. n L’imagerie fonctionnelle  Le profil caractéristique des anomalies de perfusion et de métabolisme en tomographie d’émission de simple photon (TESP) et de positons (TEP) est bien connu : l’hypométabolisme/hypoperfusion au repos siège dans les régions postérieures associatives (Figure 4).     Figure 4. Scintigraphie cérébrale par émission de simple photon. Le marqueur est l’HMPAO 99Tc. A. Patient de 56 ans ; MA débutante. Sur cette reconstruction tridimensionnelle, on voit une nette diminution des débits sanguins locaux au niveau des régions associatives temporo-pariéto-occipitales de l’hémisphère gauche (flèches), témoignant d’un dysfonctionnement et/ou d’une perte neuronale à ce niveau. B. À titre de comparaison, la scintigraphie B est celle d’un patient atteint d’une démence fronto-temporale. À l’opposé de la MA, le déficit de perfusion cérébrale concerne cette fois les lobes frontaux (flèches). Des perturbations hippocampiques, qui permettraient un diagnostic plus précoce, sont délicates à apprécier avec ces examens, même en les couplant à l’IRM morphologique, et nécessitent en tout état de cause une caméra très performante. Chez certains sujets ayant une prédisposition génétique (homozygotie e4/e4), une diminution du métabolisme cérébral en tomographie d’émission de positons a pu être détectée au niveau du cortex cingulaire postérieur et des cortex associatifs postérieurs, en l’absence de tout signe de détérioration cognitive (Reiman et al., 1996).   L’amélioration de la sensibilité de ces techniques implique l’usage de radioligands plus spécifiques La mesure de l’activité acétylcholinestérase cérébrale peut être faite à l’aide de marqueurs spéciaux en TEP ; on peut, en protocole de recherche, suspecter des MA à des stades précoces (Blomqvist et al., 2001). Plus récemment, le marquage de la substance bêta-amyloïde par le C-11-CIB (Composé B de Pittsburgh) a permis de visualiser de façon hautement spécifique en TEP les dépôts anormaux au cours de la MA (Klunk et al., 2004). Des résultats préliminaires laissent penser que ce marquage est aussi positif à un stade prédémentiel. Il s’agit probablement de la méthode diagnostique la plus prometteuse (Figure 5).      Figure 5. Le N-méthyl-(11 C)2-(4’-méthylaminophényl)-6-hydroxybenzothiazole, ou « PIB » (Pittsburgh Compound-B) se lie à la substance amyloïde et a des propriétés de radio-traceur pour le PET-scan. L’image de gauche montre que chez les témoins sains il n’y a pas de fixation du traceur. À droite, chez des patients avec une MA modérée, on voit une forte présence du traceur, principalement au niveau des régions corticales associatives frontales et pariétales (flèches). Cette fixation indique la présence de dépôts de peptide amyloïde dans des plaques séniles, ce qui signe quasiment la MA.   L’électrophysiologie L’EEG standard n’a qu’un faible intérêt en cas de MA débutante. L’analyse quantifiée de l’EEG est plus utile, avec une sensibilité et une spécificité pour le diagnostic de démence qui atteindrait respectivement 80 et 75 % (Prichep et John, 1986) (Figures 6 A, B, C 1 et 2). Toutefois, en ce qui concerne plus particulièrement le diagnostic de MA et notamment en période inaugurale de la maladie, la contribution de cet examen demande à être précisée.       Figure 6. Analyse quantifiée de l’EEG. A. Analyse fréquentielle (abscisse : fréquence ; ordonnée : puissance) montrant une déviation de la courbe de puissance spectrale vers les fréquences lentes chez un patient atteint d’une MA légère par rapport à un groupe de témoins appariés pour l’âge. B. Le paramètre de fréquence moyenne occipitale (FMO1 : fréquence moyenne occipitale gauche ; FMO 2 : fréquence moyenne occipitale droite) est un indicateur relativement fiable de MA. On voit que cette fréquence moyenne, exprimée en Hertz, diminue en fonction de la gravité de la maladie. Comparaison par rapport à 15 témoins appariés pour l’âge. Démence légère : 15 patients ; démence modérée : 22 patients ; démence sévère : 15 patients (données personnelles). C. Exemples de représentation cartographique de l’analyse quantifiée de l’EEG chez des MA : 1. MA modérée : on voit une augmentation significative de la puissance relative dans la bande de fréquence thêta au niveau des régions occipitales et temporales (en jaune et vert sur l’image). 2. MA sévère : augmentation importante de la puissance en ondes lentes thêta au niveau des régions occipitales, pariétales et à un moindre degré temporales (en rouge et jaune sur l’image).   Les biomarqueurs comme la concentration de peptide bêta-amyloïde, de ligands diffusibles de l’amyloïde-bêta, de protéine tau et tau phosphorylée, ou encore le rapport amyloïde-bêta 40/42 à partir de prélèvements de liquide céphalo-rachidien sont encore à l’étude.   Les tests génétiques ne doivent pas être considérés comme des méthodes courantes. La fréquence de l’allèle e4 du gène de l’apolipoprotéine est augmentée dans la population des patients atteints de MA ; le risque de MA des porteurs est accru, en proportion du nombre d’allèle e4 , par rapport aux porteurs d’autres isoformes. Toutefois l’allèle e4 étant seulement un facteur de risque et non un élément nécessaire et suffisant à la maladie, il n’y a pas lieu d’en faire la recherche systématique à visée diagnostique. Dans les rares cas de MA familiales avec une mutation identifiée (mutation du gène du peptide bêta-amyloïde sur le chromosome 21, du gène de la préséniline 1 sur le chromosome 14, du gène de la préséniline 2 sur le chromosome 1), la mise en évidence d’une mutation chez un sujet symptomatique ou non signifie qu’il est atteint ou développera à coup sûr la maladie pour autant que sa longévité le lui permette. Le diagnostic précoce peut alors être proposé, en prenant en compte les considération éthiques inhérentes à ce type de diagnostic chez des sujets habituellement jeunes et asymptomatiques. Conclusion Le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer s’il a vocation a être entrepris à grande échelle, nécessite un dispositif complexe faisant intervenir un dépistage des sujets à risque par les médecins généralistes, puis le diagnostic proprement dit par des médecins plus expérimentés dans ce domaine, et aptes à prescrire les médicaments, à l’heure actuelle les anticholinestérasiques. C’est avant tout par les tests cliniques que passe ce diagnostic précoce, mais on peut penser que dans l’avenir des méthodes plus sensibles et plus spécifiques pourront être utilisées en routine.       

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