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Neurologie générale

Publié le 20 déc 2010Lecture 12 min

De la représentation inconsciente à la relation de soin

A. BLEUSEZ, V. LARCHER, Hôpital René Muret, Sevran
Les instituts de formation et les institutions prennent soin de poser un cadre de travail idéal : sensibilisant à la relation d’aide et de soin, définissant les bonnes pratiques et prônant le respect des droits des patients. Au centre de ces règles, devoirs et chartes, que devient l’inconscient, ses pulsions, ses désirs, ses haines de la personne qu’est le soignant ? Cet inconscient vient justement bouleverser cet idéal atteint, le cadre devient beaucoup plus conflictuel et ambivalent.
La plupart des écrits définissent et/ou décrivent une relation de soin bonne, idéale, éthique, positive… Cette relation est souvent définie en termes de « ce qu’elle devrait être » et rarement en termes de ce qu’elle est. Il est facile de faire exister le raccourci idéatoire : ce qui devrait être, est ! Mais est-ce la réalité de cette relation ? Les relations humaines, en général, sont empreintes d’aspects positifs et d’aspects négatifs. Les mécanismes en jeu dans les liens tissés avec les autres sont le fruit de notre propre névrose, de notre personnalité, de notre histoire..., mais également de la névrose, de la personnalité et de l’histoire de l’autre. L’interactivité est multiple et complexe. La relation de soin serait-elle, grâce à son aspect professionnel et son cadre bien particulier, exempte de cette complexité ? Mécanismes positifs en jeu dans la relation soignant-soigné Il n’est pas question de les nier, tels que Carl Rogers les évoque dans sa définition de la relation d’aide. L’authenticité des soignants vis-à-vis des patients, par exemple, leur permet d’être perçus par le patient comme dignes de confiance, fiables et conséquents. L’authenticité des soignants vis-à-vis d’euxmêmes les conduit à identifier, reconnaître et accepter leurs ressentis à l’égard de tel ou tel patient. Cette capacité les aide justement à contrebalancer parfois ces ressentis pour être dans une relation d’aide constructive et possible pour le patient. La force d’être suffisamment distinct de l’autre pour ne pas être démoralisé par sa dépression, effrayé par sa peur, englouti par sa dépendance, détruit par sa colère, asservi par son amour : le soignant doit pouvoir se sentir exister distinctement du patient, avec ses propres sentiments et ses propres droits. La sécurité intérieure de certains soignants leur permet de supporter et d’aider l’autre avec tout ce qu’il est : honnête ou faux, infantile ou adulte, au désespoir ou trop sûr de lui. Nous pouvons également parler de la compréhension empathique permettant une juste adaptation du soignant aux besoins réels du malade, sans vouloir ce qu’il ne souhaite pas et en respectant sa singularité (son histoire, sa personnalité, sa religion, sa culture...). Philosophies et bonnes pratiques du soin Du point de vue des soignants, la relation au patient est cadrée, délimitée et réglementée. Au cours de leur formation, ils sont sensibilisés aux bonnes pratiques sensées répondre aux besoins fondamentaux des malades. Par « bonnes pratiques », on sous-entend un certain savoir faire « technique » lié à un savoir être « relationnel », le tout construit sur la base de valeurs comme le respect de l’humanité, de la dignité, de l’intégrité et de l’autonomie, au-delà de la maladie et quel que soit l’état de dépendance du patient. Parlons aussi de cette juste distance que les soignants doivent adopter pour exercer sans s’identifier excessivement aux malades. Distance qui se présente comme un mode de « régulation » de la relation soignant/ soigné et « permet de soigner et protège contre une implication trop forte qui ferait obstacle au soin, (…) se gardant autant de l’emprise réciproque que de l’indifférence ». Les soignants acquièrent des connaissances théoriques qu’ils mettent en pratique au chevet des malades. Ils sont ceux qui savent et maîtrisent la situation face au malade vulnérable et dépendant du fait de sa maladie. La relation au malade est par conséquent asymétrique et du point de vue du patient vécue comme une relation dominant/ dominé. Même si le soignant ne se vit pas comme dominant, le patient fantasme une supériorité du soignant liée à son savoir. Cependant, tout semble suffisamment cadré pour que le patient ne se sente jamais écrasé par le pouvoir « du soignant qui sait ». Une multitude de lois, de chartes, de règles viennent garantir aux patients le respect de ses droits : droit à l’information, liberté de décision. Les réflexions éthiques sont encouragées. Et pourtant, force est de constater que la réalité de la relation soignant/soigné échappe fréquemment à ce cadre global. Elle prend souvent un tout autre destin conflictuel et parfois douloureux, semé de difficultés et d’embûches. Place des motivations et des désirs inconscients dans la relation de soin Philosophies de soin, bonnes pratiques et chartes ne suffisent pas à définir à elles seules l’essence du métier de soignant. La relation de soin répond aux mêmes mécanismes que la relation à l’autre en général : relation teintée de la toute première expérience relationnelle du nourrisson à sa mère. Au tout début, il n’existe pas de différenciation moi/l’autre. Le bébé et la mère ne font qu’un. Au cours de cette différenciation, le bébé souhaiterait pouvoir soumettre, maîtriser et parfois détruire cette mère bien souvent frustrante. Par la suite, toute relation devra composer avec cette première expérience intime. C’est pourquoi le soin en tant que pratique relationnelle est aussi sous-tendu par des motivations et des désirs inconscients d’où il tire toute son ambivalence : venir en aide à l’autre, l’accompagner et le soutenir, réparer et restaurer, mais aussi de l’autre côté, soumettre, détruire et maîtriser. L’établissement de défenses et le recours au savoir acquis durant la formation sont des éléments qui permettent de détourner ces désirs et d’en faire, par le biais notamment de la sublimation, une activité socialement valorisée. L’établissement de protocoles et de codes de bonnes pratiques se présentent quant à eux comme une instance surmoïque venant signer l’interdit de céder aux désirs inconscients. Mais que se passe t-il lorsque les désirs se font plus puissants que les interdits et que les défenses cèdent ? Certains soignants commettent l’impensable. La relation de soin se teinte de violence et d’agressivité. Pas seulement par le biais de passages à l’acte manifestement maltraitants, mais aussi par une façon toute particulière de ne pas considérer l’autonomie et la vie psychique du patient. Le champ gériatrique : un exemple particulièrement parlant La personne âgée est de fait considérée comme vulnérable. Mais lorsqu’en plus s’ajoute la maladie, tout devient comme si le respect des droits fondamentaux dû à la personne ne coule plus de source. Être âgé et malade remet en question le respect, l’expression de l’autonomie et le droit fondamental à disposer de soi-même. Pourquoi ? Parce que prendre soin d’une personne âgée réactive chez les soignants des problématiques inconscientes spécifiques en lien avec leur propre vieillissement, leurs angoisses de mort ou leur propre problématique familiale. La vulnérabilité toute particulière de ces patients entretient aussi les sentiments de toute puissance et les pulsions d’emprise. Dans ce contexte, l’expression de la pulsion de vie chez la personne âgée trouve difficilement sa place. Comment estelle accueillie par les soignants ne serait-ce que par le biais de la question de l’intimité, l’affectivité et de la sexualité ? Comment entre-t-elle en conflit avec leurs propres problématiques inconscientes ? En amont du respect de l’expression de la pulsion de vie, il se doit d’exister le respect et la reconnaissance de la personne, de son identité et de son intimité : notion pas toujours évidente à respecter par certains… La position soignante autorise… La position soignante annule la notion d’intimité… Certes, la conscience de l’existence de l’autre – pas seulement patient – existe chez les soignants : l’autre intime, l’autre avec tout ce qui le fait justement autre. Cependant, se produit parfois un dérapage où l’intime est gommé. Par exemple, les soignants disent volontiers frapper à la porte avant d’entrer, mais attendent-ils toujours la réponse (ou du moins marquent-ils un temps) avant d’entrer ? Même s’ils ressentent qu’un soin représente une atteinte à l’intimité du patient, pensent-ils toujours à refermer la porte derrière eux ?... Que viennent signifier ces dérapages ? Nous pouvons justement peut-être y voir l’existence du conflit entre le désir inconscient, décrit plus haut, de vouloir contrôler l’autre et l’intégration des « bonnes règles » (sociétales et de vie) et des « bonnes pratiques » soignantes. Quand soigner devient « materner » Lorsque l’on parle du respect de la personne, on pense également aux notions d’autonomie et de dépendance. Respecter le sujet, c’est respecter son autonomie et l’accompagner dans sa dépendance. Redéfinissons dans un premier temps ces deux notions. L’autonomie est « la liberté, l’indépendance morale ou intellectuelle », alors que la dépendance est « l’état d’une personne, d’une chose, qui dépend d’une autre » . L’autonomie fait référence à la capacité de prendre des décisions pour soi-même. Le patient, bien qu’il soit dépendant de par sa maladie ou son handicap, peut être parfaitement autonome et être acteur de sa vie et de sa prise en charge. Dans la fantasmatique soignante, la maladie et l’âge présupposent un état de détresse que le patient ne pourrait élaborer seul. Ainsi, les soignants glissent d’une dynamique de soin où le patient est acteur de sa prise en charge à une dynamique du « prendre soin » rappelant étrangement les premières expériences mère/enfant. Dans la théorie psychanalytique (Freud, Winnicott…), le nourrisson naît avec un appareil psychique immature ne lui permettant donc pas de faire face, seul, à ses affects, aux mouvement pulsionnels, aux excitations... La mère se positionne en moi auxiliaire protégeant son enfant des angoisses, des empiétements de l’environnement... L’autonomisation passe par l’intériorisation de cette mère suffisamment bonne, palliant et assumant les besoins de son enfant, mais lui permettant également de faire l’expérience de la frustration. Nous retrouvons parfois cette dynamique dans la relation soignant/ soigné, la situant alors dans un registre de maternage répétant les enjeux de la relation symbiotique mère/enfant. Les soignants ont une représentation du patient âgé comme suscitant, par leurs demandes et leurs besoins, une position maternelle. C’est d’ailleurs ce qu’ils perçoivent souvent de la vie affective des patients qu’ils considèrent non pas comme l’expression d’une autonomie psychique mais comme un appel à l’autre et à sa position maternante : sécurité, apaisement, soulagement des angoisses, réconfort et soutien. Dément et malgré tout sujet : une représentation difficile Accéder à une représentation de l’âgé malade autonome paraît donc difficile pour les équipes soignantes. Cela est d’autant plus marqué lorsqu’il s’agit d’évoquer le cas des patients déments. Certes, la démence dans les stades les plus sévères annihile la possibilité de rester en position de sujet autonome. Mais doit-on pour autant enlever aux patients déments toute possibilité de choix et de consentement ? Dans la démence, la disparition de la parole signe la disparition de la pensée construite et élaborée, donnant l’impression que le malade est hermétique. Quelque chose de l’ordre de l’énigmatique s’installe pour les interlocuteurs potentiels : le malade a-t-il conscience de lui-même ? At- il conscience de l’autre ? Mais c’est sans compter sur l’installation d’un autre langage, plus archaïque : celui du corps et des affects libres de toutes représentations. S’installe alors un nouveau mode de communication. Par ce biais, le dément s’exprime, manifeste son existence, ses angoisses et ses désirs, ses oppositions ou, au contraire, son consentement. Encore faut-il les entendre, leur accorder un sens et une valeur. Prenons l’exemple de la sexualité des déments. Pour la plus grande partie, ces derniers sont incapables d’émettre un consentement, de dire oui ou non. Mais n’est-ce pas oublier la place à accorder à leurs désirs qu’ils ne cessent d’exprimer, notamment à travers leurs comportements ? Les soignants ont tendance à adopter la position de tiers, seuls aptes à autoriser ou interdire la sexualité des patients âgés déments. La position soignante est maternante, mais elle peut aussi être toute puissante en niant la dimension du sujet. Dans ce contexte, comment considérer la question de la gestion de la juste distance soignant/ soigné ? Au regard de la position maternante et de la toute puissance auxquelles les soignants risquent de s’abandonner, encouragés par la représentation empreinte de fragilité et de vulnérabilité que les personnes âgées malades renvoient, il paraît difficile de trouver la bonne distance et ne pas se situer excessivement dans « l’affect » avec les patients âgés. Ainsi, les soignants se déclarent facilement contents ou attendris lorsqu’ils sont témoins ou destinataires de marques d’affection de la part des patients âgés. La distance soignant/soigné est comme gommée. En conclusion Être soignant vient « excuser » ce qui ne pourrait être toléré dans une relation autre : s’introduire dans l’intimité d’autrui, oublier de promouvoir l’autonomie d’une personne dépendante en se laissant emporter par les bénéfices et les gratifications d’une relation maternante, devenir celui qui décide, autoriser ou interdir pour l’autre… Il n’est donc pas évident de trouver la bonne distance et les bonnes limites, et ce a fortiori vis-à-vis d’un patient âgé. Ne peut-on voir dans ces dérapages un aspect dangereux ? Ne viennent-ils pas signifier la représentation fantasmatique d’une mort prématurée de la psyché du patient âgé ?...

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