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Alzheimer et Démences

Publié le 31 déc 2012Lecture 10 min

Quand doser les marqueurs du LCR dans la maladie d'Alzheimer ?

J. DUMURGIER, CMRR Paris Nord-Ile-de-France, groupe hospitalier Saint Louis-Lariboisière-Fernand Widal, Paris

Les biomarqueurs du LCR (peptide Aβ1-42, protéine Tau totale et protéine Tau phosphorylée 181) reflètent les lésions neuropathologiques de la maladie d’Alzheimer (MA). Leur dosage est devenu un outil diagnostic important pour cette maladie, en particulier chez le sujet jeune ou dans des situations cliniquement complexes. Ces paramètres font partie intégrante des nouveaux critères récemment proposés pour définir la MA à un stade prédémentiel.

  Un diagnostic anatomoclinique parfois complexe   Le diagnostic de maladie d’Alzheimer repose essentiellement sur l’évaluation clinique neurologique et cognitive du patient. Les critères cliniques habituellement utilisés sont ceux du DSM IV ou bien ceux du NINCDS-ADRA proposés en 1984 par G. McKhann et coll.(1). Ces critères permettent de porter le diagnostic de maladie d’Alzheimer au stade de démence, défini soit par un retentissement sur le fonctionnement social ou les activités de la vie quotidienne pour le DSM IV, soit par la perturbation d’une échelle cognitive globale comme le MMSE pour les critères du NINCDS-ADRDA. À cette démence, doivent être associée une altération progressive de la mémoire et l’atteinte d’au moins une autre fonction cognitive (aphasie, apraxie, agnosie, atteinte des fonctions exécutives). La maladie d’Alzheimer est un diagnostic d’élimination, il ne doit pas y avoir d’autres maladies ou désordres pouvant expliquer la symptomatologie cognitive. Ces critères diagnostiques cliniques ont une spécificité et une sensibilité imparfaite, ce qui permet de conduire uniquement au diagnostic de maladie d’Alzheimer « probable » ou « possible ». La spécificité de ces critères dans les différentes études est de l’ordre de 80 %, ce qui signifie que leur application stricte conduit à porter le diagnostic de maladie d’Alzheimer à tort une fois sur cinq(2). Il existe en effet de multiples diagnostics différentiels pouvant mimer une maladie d’Alzheimer : dépression, démence vasculaire, carence vitaminique, démence alcoolique, hydrocéphalie à pression normale, autres maladies neurodégénératives (dégénérescence fronto-temporale, maladie à corps de Lewy, dégénérescence cortico-basale, maladie de Creutzfeldt-Jakob, etc.). Comme illustré par la figure 1, le diagnostic de certitude de maladie d’Alzheimer repose sur la conjonction des critères cliniques et de l’analyse histologique du tissu cérébral (critères NIA-Reagan). Figure 1. Le diagnostic de maladie d’Alzheimer définie résulte de la conjonction de critères cliniques positifs et de critères neuropathologiques (examen post mortem). Les biomarqueurs du LCR sont considérés comme un reflet de la neuropathologie.  Cet examen histologique post mortem aboutit à un diagnostic de certitude rétrospectif. Dans les faits, cette confirmation histologique est le plus souvent manquante, l’autopsie étant rarement réalisée. Le diagnostic histologique repose sur la présence de plaques séniles, constituées d’agrégats de peptides Aβ-amyloïde et de dégénérescences neurofibrillaires, constituées par une accumulation intraneuronale de protéine Tau sous une forme anormalement hyperphosphorylée. Ces lésions caractéristiques sont associées à une perte neuronale et synaptique. De manière similaire au diagnostic clinique selon les critères vus plus haut, l’examen histologique ne permet pas toujours le diagnostic de maladie d’Alzheimer, sa spécificité étant elle aussi imparfaite. Dans les séries autopsiques issues de cohortes de sujets âgés, une proportion non négligeable de sujets sans trouble cognitif de leur vivant répondaient à l’autopsie aux critères neuropathologiques de maladie d’Alzheimer(3). Cette inégalité interindividuelle d’expression clinique face aux lésions histologiques de la maladie d’Alzheimer a notamment conduit à développer les concepts de réserve cérébrale et de réserve cognitive(4). Le diagnostic de certitude repose donc sur la conjonction des critères cliniques et neuropathologiques, ces derniers n’étant le plus souvent pas accessibles du vivant du patient. Cette situation rend parfois complexe le diagnostic de maladie d’Alzheimer, maladie à évolution sévère et ayant une forte connotation dans la population. De plus, le concept de diagnostic probable est difficilement concevable dans le cadre d’une situation clinique face à l’attente d’un patient et de sa famille.   Les biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer Pour pallier à cette nécessité d’appréhender la neuropathologie de la maladie, un certain nombre de biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer ont été étudiés au cours de ces quinze dernières années. Un biomarqueur se définit comme une entité mesurable et quantifiable dont la présence ou l’activité sont associées à la maladie. Le biomarqueur idéal doit être très spécifique, lié au processus pathologique ; il doit aussi permettre de prédire l’évolution de la maladie et refléter le niveau de réponse à un éventuel traitement étiologique. Plusieurs biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer ont connu un essor important ces dernières années : – l’IRM cérébrale qui permet de visualiser et de quantifier par des analyses volumétriques le niveau d’atrophie cérébrale, en particulier des régions hippocampiques ; – l’imagerie amyloïde par PET scan grâce au développement de ligands (PIB, AV45) allant spécifiquement fixer la plaque amyloïde et permettant ainsi de quantifier la charge amyloïde cérébrale, mais en négligeant les dépôts de protéine Tau ; – le dosage des biomarqueurs du LCR (peptide Aβ-42, protéine Tau totale, protéine Tau phosphorylée) qui est actuellement le seul biomarqueur reflétant à la fois le processus amyloïde et la dégénérescence neurofibrillaire liée à la protéine Tau.   Profil biologique et interprétation des biomarqueurs du LCR Le recueil du LCR doit nécessairement se faire dans un tube en polypropylène (figure 2), et non pas dans un tube en polystyrène usuel pour cause d’agrégation du peptide amyloïde sur les parois conduisant à des valeurs faussement basses. Figure 2. Exemple de tube en polypropylène utilisé pour le dosage des biomarqueurs dans le LCR. Les tubes classiques en polystyrène doivent être proscrits, car ils conduisent à une agrégation du peptide A+ sur leurs parois.  La maladie d’Alzheimer se caractérise par des perturbations des 3 biomarqueurs dans le LCR. La concentration en peptide A+1-42 est diminuée d’environ 50 % par rapport aux sujets contrôles (généralement < 550 pg/mL). Cette diminution paradoxale s’explique soit par une diminution de la clairance du peptide A+ dans le LCR, soit par le fait que le peptide A+ s’accumule et se retrouve piégé dans les plaques amyloïdes et est ainsi moins éliminé. Des études autopsiques ou in vivo par imagerie amyloïde ont retrouvé une corrélation inverse entre la concentration en A+ dans le LCR et la charge amyloïde cérébrale totale(5). Notre centre a précédemment montré que la concentration en A+dans le LCR était liée au niveau de réserve cognitive(6) et à des anomalies du métabolisme glucidique(7). Les protéines Tau totale et Tau phosphorylée sont augmentées dans le LCR et reflètent les dégénérescences neurofibrillaires et la mort neuronale : Tau totale ≥ 300 pg/mL, Tau phosphorylée ≥ 60 pg/mL. La figure 3 présente une méthode de représentation des résultats sous forme graphique avec en abscisse la concentration en Tau phosphorylée et en ordonnée l’index IATI (Innotest Amyloide Tau Index) correspondant au rapport du peptide A+-42 sur la protéine Tau totale. Cette méthode permet de définir 4 profils biologiques : profil biologique normal (IATI élevé, Tau phosphorylée basse), profil biologique Alzheimer (IATI basse, Tau phosphorylée élevée), les deux autres profils biologiques étant qualifiés d’intermédiaires et peuvent correspondre à des situations cliniques diverses (maladie d’Alzheimer atypique, Mild cognitive impairment [MCI], autres maladies dégénératives). Une des limites actuelles quant à l’utilisation à plus grande échelle de ces dosages est la variabilité intercentres, dues en partie à des différences pré-analytiques comme la nature du tube de recueil utilisé, ce qui conduit à une variation des normes utilisées. Une étude de validation européenne est actuellement en cours.   Figure 3. Présentation graphique du résultat des biomarqueurs dans le LCR. Le patient représenté en vert correspond à un profil normal des biomarqueurs, celui en rouge à un profil Alzheimer (augmentation de la Tau phosphorylée, diminution du IATI*). es profils intermédiaires correspondent à des situations cliniques diverses. *IATI = Innotest Amyloid Tau Index.   Les résultats des biomarqueurs peuvent-ils prédire l’évolution de la maladie ? Les données de la littérature restent actuellement encore limitées. Plusieurs études ont montré que le niveau des biomarqueurs dans le LCR était corrélé à l’intensité des anomalies histologiques cérébrales(8). Une étude récente a, par ailleurs, rapporté que dans une population de patients Alzheimer, ceux qui avaient les perturbations des biomarqueurs les plus marquées avaient une détérioration cognitive plus rapide, répondaient plus faiblement aux traitements anticholinestérasiques et avaient un risque de décès augmenté(9).   Indication du dosage des biomarqueurs du LCR Selon les recommandations publiées par la Haute Autorité de santé (HAS) en 2008 (abrogées en mai 2011), le dosage des biomarqueurs devait être effectué « en cas de doute diagnostique et en particulier chez les patients jeunes ». Le niveau de doute diagnostique était laissé à l’appréciation du médecin. Chez le sujet jeune (premiers signes de la maladie avant 60 ans), il parait effectivement important d’appuyer le diagnostic sur une confirmation du profil biologique dans le LCR. Le dosage des biomarqueurs peut aussi permettre de faire la part des choses dans un certain nombre de situations cliniques parfois complexes : – patients illettrés pour lesquels l’évaluation neuropsychologique peut être d’interprétation difficile ; – tableaux psychiatriques/dépressions atypiques du sujet âgé ; – syndromes extrapyramidaux avec troubles cognitifs ; – formes atypiques de maladie d’Alzheimer à début non mnésique (atrophie corticale postérieure, syndromes cortico-basaux, aphasie progressive, atteinte dyséxécutive au premier plan) ; – composante vasculaire importante cliniquement ou de découverte radiologique sur l’IRM cérébrale (leucopathie extensive, lacunes multiples, infarctus stratégiques) ; – complications cognitives de l’éthylisme chronique. La positivité des biomarqueurs permet dans ces situations d’évoquer une maladie d’Alzheimer dans des cas où la présentation clinique peut être complexe et faire discuter d’autres pathologies.   Dosage des biomarqueurs au stade prédémentiel Selon les recommandations de la HAS, une démarche diagnostique précoce peut être proposée aux personnes se plaignant de res - sentir une modification récente de leur cognition ou chez celles dont l’entourage a remarqué un trouble cognitif. Cette démarche est justifiée car la mise en place précoce de thérapeutiques, d’une prise en charge médico-sociale et d’un accompagnement assure une meilleure qualité de vie aux patients et aux aidants sur un temps plus prolongé. Au stade de troubles cognitifs légers (MCI), plusieurs études ont montré que les anomalies des biomarqueurs du LCR étaient associées à un risque élevé de conversion vers une maladie d’Alzheimer(10). À l’opposé, la normalité des biomarqueurs au stade MCI est associée à un faible risque de conversion. Le développement des biomarqueurs permet d’envisager de porter le diagnostic de maladie d’Alzheimer avant le stade de démence, au stade de « maladie prodromale » au cours duquel le patient présente uniquement des troubles cognitifs modérés sans syndrome démentiel. Des nouveaux critères ont ainsi été récemment proposés intégrant le dosage des biomarqueurs(11,12). Leurs validités et leurs pertinences cliniques sont actuellement en cours d’évaluation.    

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